Rouges jardinspar Guy Grandjean
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Le règne obscur de Tarsius premier

Nature


Tarsius premier
Ce petit diablotin anime les nuits de l’île Célèbes, à l’est de Bornéo. Dans ces forêts restées vierges, il sautille de branche en branche, chassant l’insecte, le croquant, aimant, cramponné à son arbre telle la bernique à son rocher. Puis il disparait au lever du soleil. Le Tarsius est un animal très ancien. On estime qu’il s’est arrêté d’évoluer il y a 50 millions d’années, il aurait donc connu les dinosaures ! C’est un prosimien, c’est dire qu’il s’accroche à la base de la branche évolutive qui a donné les singes puis les hominiens. Plus près de nous, en filiation directe de Tarsius , via les hominidés, Prométhée avait, dit-on, sauvé les hommes dans le passé : il leur avait apporté la flamme, celle qui leur avait permis de s’extraire définitivement de l’univers animal.

Pro signifie d’avance en grec, et méthée a donné mathématique. Par nature, il réfléchissait avant d’agir.En ceci, il s’opposait constamment à son frère Epiméthée qui lui, réfléchissait, parfois, et toujours après (épi) ; il s’embourbait toujours dans les mêmes erreurs, il n’en tirait nulle expérience, aucune mémoire ne l’éclairait. On a gardé de lui le souvenir d’un écervelé.

Depuis longtemps, notre Tarsius connaît, à l’instar de Prométhée, une des règles d’or de la vie

O   Observer R   Réfléchir  A   Agir    

Chez les Tarsiers, il est impossible de rencontrer un individu du genre d’Epiméthée. L’ORA non respectée : un coup d’œil trop vif, un angle de saut mal calculé, et c’est le cassage de gueule garanti. En bas, règne l’obscurité des inquiétantes basses fosses du sous-bois, et rôdent d’éventuelles mâchoires inopportunes. Prêtes à se délecter de Tarsius.

Tarsius est le symbole de l’animal fidèle au monde, le dépositaire d’une sensibilité inaltérée, quoique brute. Avec ses yeux, son ouïe, son toucher, c’est l’observateur au cœur pur. Il n’est nullement gêné par les idées, les pensées, les systèmes, les sentiments. Tout ce qui peut habiter la forte caboche des êtres humains. Le cerveau de Tarsius, lui, ne pèse à peine plus qu’un de ses yeux ! Alors celui ou celle qui réfléchira, comme lui, reflétera le monde.

D’une attention bien affûtée, Tarsius peut nous surprendre d’un tour de tête de 270° ! Il partage cette faculté avec la chouette, et jouit comme elle d’une vision on ne peut plus panoramique. Ce qui a d’ailleurs contribué à lui tailler une vieille réputation de gnome de mauvaise augure. Les Dayaks, ethnie locale, imaginaient qu’il avait le cou pas très bien fixé au corps. Eux-mêmes étant des décolleurs de têtes invétérés, se retrouver nez à nez avec Tarsius était considéré comme un très mauvais présage quand ils partaient guerroyer. Ajoutez à cela des pavillons orientables, et vous comprendrez mieux la très longue carrière de Tarsius .

T'es qui toi ?
T’es qui toi ?

Une petite faiblesse : le nez, qu’il a sec. Foin de la truffe luisante, toujours humide du chien de chasse en quête constante de subtiles effluves, Tarsius, lui, ne craint guère la goutte au nez. Son modeste odorat lui sert quand même à renifler les pipis et autres jus chargés en hormones, ces messagères primordiales :

Qui es-tu ? Que veux-tu ? Me veux-tu ?                                           Quelquefois, l’excitante rencontre avec l’agaçante tarsière, et c’est l’amour, cramponné au bois, amour qu’ils ont d’ailleurs silencieux. Chut!

Pupilles dilatées à fond pour laisser passer la maigre lumière : quelle mydriase ! 
Pupilles dilatées à fond pour laisser passer la maigre lumière : quelle mydriase !

                                                                                                                                                                                                                                            Mais revenons à notre ORA. Elle est présente de manière embryonnaire chez tous les animaux, y compris des animaux aussi primitifs que les pieuvres: donnez à ces dernières à boulotter un crabe emprisonné dans un bocal en verre à bouchon vissé, certaines dégusteront le crabe sans problème. Plus surprenant : d’autres qui en sont a priori incapables, y arrivent en les imitant !

Non, les animaux ne sont pas de simples automates biologiques, tout entiers mus par des réflexes.  Bien sûr, l’ORA chez Prométhée prend une autre dimension ; d’un coup de cette règle magique, de chaque instant, nous voici libres ! Je vous décris brièvement ce que Prométhée fit de cette liberté à la fin de sa vie. Il exaspérait Zeus, par son souci d’aider les hommes. Ce dernier finit par le faire enchaîner par ses serviteurs, la Force et la Violence. Plus tard, il chargea Hermès de lui arracher un secret : le nom de la mère du futur fils de Zeus.    

Promothée répondit:                                                                                                     

« Va, et persuade les vagues de la mer de ne plus déferler ». »Tu n’auras pas moins de peine à me persuader moi même ». 

Hermès le menaça de la voracité d’un aigle. Prométhée refusa de se plier à la tyrannie de Zeus ; malgré ses chaînes et ses souffrances affreuses, son esprit restait libre.

« Aucune force ne saurait dicter mes discours. Aussi, laisse Zeus brandir sa foudre et ses éclairs, rien de tout cela ne saurait contraindre ma volonté ».                                                                                                                                

Hermès le quitta :                                                                                                                                                                                             

« Mais ce sont là des mots incohérents que l’on entend dire aux fous ! « 

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