Rouges jardinspar Guy Grandjean
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La prévision du sphinx

Nature

Peep show végétal, mâles et femelles, des étamines en rang pour du pollen, un pistil en étoile pour une promesse d’ovule.
 

L’ énigme du sphinx fut posée aux naturalistes, vers 1850, quand ils découvrirent à Madagascar une superbe orchidée, munie d’un long éperon d’une trentaine de centimètres, appendu à la lèvre de la fleur. Seul le fond de l’éperon, sur un centimètre, contenait le nectar.Pas d’amateur de nectar, pas de transporteur de pollen.                                                                                                                                     Pas de transporteur de pollen, pas de fécondation, puisque le pollen est l’élément mâle.Pas de fécondation, plus d’orchidée.

Consulté, Darwin pré visualise un papillon nocturne, muni d’une trompe de la taille de l’éperon.  En effet, cette fleur n’est odorante que la nuit.

Ces élucubrations furent accueillies par les sourires narquois des entomologistes de l’époque. Certains diront qu’il fut la risée de l’auguste assemblée de savants. Ce sourire moqueur se brouilla en moue respectueuse quand, en 1900, la communauté scientifique lui rendit hommage en appelant Xanthopan morgani praedicta le sphinx nocturne, muni d’une incroyable trompe de trente centimètres, découvert à cette époque à Madagascar : le premier animal ayant existé dans l’esprit de l’homme avant d’avoir été vu. Il y eut de même des planètes, des éclipses, des éléments chimiques, des virus etc. portés à la connaissance de l’homme avant d’avoir été observés.

Cette année a été visualisé le virus de l’hépatite C, totalement séquencé en 1989, mais invisible à nos sens jusque là.

Darwin, quand il mûrit sa vision de l’évolution au cours de son voyage « aux Amériques »,  vécut « dans un tourbillon de délices et d’étonnement » ; ce sont ses propres mots.

Il ressentit puissamment l’exaltante sensation de filiation avec toute forme vivante ; il savait que cette vision était aussi irréfutable que la couleur du ciel, et qu’elle ne pourrait que succéder à l’interprétation religieuse de l’histoire du monde. L’ambivalence de cette liaison mystique avec les êtres vivants est imagée par l’anecdote racontée par Jules Renard : ayant aperçu un oiseau dans son jardin, il l’appela et eut la surprise de le voir aussitôt venir se poser sur son doigt. Extrêmement ému, son cœur se gonfla et il se crût l’élu, le digne successeur de François d’Assise,   le temps d’apprendre,  de la bouche d’un voisin, qu’il s’agissait d’un oiseau apprivoisé qui s’était envolé de sa cage.

Darwin établit à l’époque sa théorie de l’évolution reposant sur la sélection naturelle: la vie est source de combats, et seuls les plus forts, ou les plus adroits, survivent. Les bourgeois de l’époque adoptèrent avec enthousiasme ce point de vue, qui justifiait en quelque sorte leur position dominante et leur désintérêt, pour la plupart, des conditions de vie des classes populaires. L’ère du mépris pouvait continuer.

 

Australopithèque

L’idéologie nazie l’appliqua à  la lettre : la « race aryenne » était supposée être une race supérieure aux autres. Le mot « sélection » entraîna l’élimination des « non productifs ». Dans les camps d’extermination, il provoquait la terreur et anticipait « la solution finale ». Au début du XX ième des naturalistes allemands avaient, à leur manière, participé aux futures atrocités ; ils s’étaient compromis en devenant prosélytes d’idéologies racistes, qu’ils justifiaient en évoquant Darwin.

 

    Pourtant, cette théorie  semble bien insuffisante pour expliquer quoique ce soit de l’aventure humaine. Dans le monde animal, la sélection naturelle maintient l’efficacité des brassages génétiques. Chez l’homme, elle fonctionnerait à l’envers en favorisant « la brute ». Les comportements de coopération, d’amour qui sont spécifiques du genre humain, ne sauraient obéir aux lois du monde animal. Malgré un travail considérable sur la compréhension de ses rouages, l’évolution reste une création mystérieuse ; elle a donné naissance à la filière des hominidés qui, peu à peu, ont introduit leurs propres critères pour orienter leur avenir. Bien sur, la violence omniprésente dans le monde animal, les accompagnait et les manipule encore. Mais l’amour, la beauté, le rire, la musique, l’esprit ne les façonnèrent-ils pas de manière infiniment plus significative que les combats fratricides ? Darwin le savant fut donc éclipsé par Darwin le moralisateur. Mais il connut le privilège de nous replacer dans la chaîne de la vie.Tel un phénix, l’animisme renaît. Et depuis ces révélations, notre société reconnaît deux co créateurs : la nature et l’homme.