Des mots dans le mille
Les mots comme des êtres vivants
Les mots naissent, vivent et meurent : parfois ils ressuscitent même, après avoir vécu couchés, desséchés dans les livres pendant des années. Sitôt entendus, sitôt lus, ils se figent en une impalpable biochimie, un micro signal électrique, une micro image cérébrale. Enrobés d’émotion, ils font une bonne part de la communication humaine.
Mais, comme l’émotion peut être feinte, le mot peut être un leurre. Il est d’ailleurs quelquefois difficile d’y échapper. Certains professionnels du verbe sont experts, et des mots forts comme extraordinaire, scandaleux, meilleur, sont facilement dévoyés pour qualifier des événements banaux. Mais ils peuvent nous empoigner d’une langue qui ne fait que briller, d’une séduction toute primaire. Les mots anglais sont ainsi régulièrement mis à contribution et viennent concurrencer la langue française. Ces introductions s’observent depuis fort longtemps, plus de trois cent ans, via les frimeurs de bac à sable. Le « management environnemental » remplit la bouche des voleurs de poule nouvelle vague, les « dead line », « time consuming », « drafter », « challenge », « data », etc., colorient de nouvelles simagrées, et curieusement, même si il n’apportent rien, sensu stricto, certains s’implantent définitivement : l’usage impose sa marque mystérieusement.
La reine du simulacre
Il y a eu la fée électricité, il y a maintenant la reine publicité. Elle connaît la magie du verbe, comme celle des mots savants qui habillent d’un halo mystérieux les crèmes de beauté, celle des slogans : nos bannières modernes. Là, c’est le mot à consonance scientifique qui fait recette. Aux Etats-Unis, il y a de ceci quelques années, un fabricant de sauce tomate avait constaté que ses clients étaient agacés d’avoir à tapoter le fond de la bouteille pour faire couler le jus. Plutôt que d’agrandir le goulot ou de liquéfier le produit, le producteur fit confiance à ses publicitaires. Ils inventèrent la formule : « plus épais, donc plus riche ». La croissance des ventes repris, sans qu’il ne soit aucunement besoin de modifier la composition de la ketchoup, ni de modifier la forme de la bouteille.
Et c’est donc aussi tout naturellement que l’on baptisa une nouvelle variété de tomate, capable de supporter une très très longue conservation au réfrigérateur : Flavr Savr. Or ce légume n’a ni odeur ni saveur ! Mais là, ce fut un échec, car le prix proposé, excessif découragea le consommateur. Il est remarquable de voir une langue vivre ainsi sous nos yeux :
La pub
était Réclame début de siècle
est devenue Publicité après guerre
s’est transformée en Communication les années 1990
Cet époustouflant « glissement de langue » se joue en plein jour, à l’insu de tous, sans que personne ne bronche. A travers la plupart des média, les mots peuvent être évalués en monnaie sonnante et trébuchante, comme le poids en kilogramme. Une minute de publicité télévisuelle a été ainsi vendue 1,5 millions d’Euros, le record.