Rouges jardinspar Guy Grandjean
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Des mots dans le mille

Philosophie

Cette fleur trompe l’insecte pollinisateur, qui la prend pour sa femelle. Orchidée

Les mots comme des êtres vivants

 

Les mots naissent, vivent et meurent : parfois ils ressuscitent même, après avoir vécu couchés, desséchés dans les livres pendant des années. Sitôt entendus, sitôt lus, ils se figent en une impalpable biochimie, un micro signal électrique, une micro image cérébrale. Enrobés d’émotion, ils font une bonne part de la communication humaine.

Mais, comme l’émotion peut être feinte, le mot peut être un leurre. Il est d’ailleurs quelquefois difficile d’y échapper. Certains professionnels du verbe sont experts, et des mots forts comme extraordinaire, scandaleux, meilleur, sont facilement dévoyés pour qualifier des événements banaux. Mais ils peuvent nous empoigner d’une langue qui ne fait que briller, d’une séduction toute primaire.  Les mots anglais sont ainsi régulièrement mis à contribution et viennent concurrencer la langue française. Ces introductions s’observent depuis fort longtemps, plus de trois cent ans, via les frimeurs de bac à sable. Le « management environnemental » remplit la bouche des voleurs de poule nouvelle vague, les « dead line », « time consuming », « drafter », « challenge », « data », etc., colorient de nouvelles simagrées, et curieusement, même si il n’apportent rien, sensu stricto, certains s’implantent définitivement : l’usage impose sa marque mystérieusement.


Ce fragile insecte trompe son monde : ces yeux inquiétants troublent l'oiseau ennemi.

Ce fragile insecte trompe son monde : ces yeux inquiétants troublent l’oiseau ennemi.

 La reine du simulacre

Il y a eu la fée électricité, il y a maintenant la reine publicité. Elle connaît la magie du verbe, comme celle des mots savants qui habillent d’un halo mystérieux les crèmes de beauté, celle des slogans : nos bannières modernes. Là, c’est le mot à consonance scientifique qui fait recette. Aux Etats-Unis, il y a de ceci quelques années, un fabricant de sauce tomate avait constaté que ses clients étaient agacés d’avoir à tapoter le fond de la bouteille pour faire couler le jus. Plutôt que d’agrandir le goulot ou de liquéfier le produit, le producteur fit confiance à ses publicitaires. Ils inventèrent la formule : « plus épais, donc plus riche ». La croissance des ventes repris, sans qu’il ne soit aucunement besoin de modifier la composition de la ketchoup, ni de modifier la forme de la bouteille.

Et c’est donc aussi tout naturellement que l’on baptisa une nouvelle variété de tomate, capable de supporter une très très longue conservation au réfrigérateur : Flavr Savr. Or ce légume n’a ni odeur ni saveur ! Mais là, ce fut un échec, car le prix proposé, excessif découragea le consommateur. Il est remarquable de voir une langue vivre ainsi sous nos yeux :

La pub

 était                                                         Réclame                                    début de siècle

est devenue                                          Publicité                                     après guerre

s’est transformée en                     Communication                          les années 1990


Ce volatil nous épate. Même notre beau coq gaulois fait tout minable, à côté.

Ce volatil nous épate. Même notre beau coq gaulois fait tout minable, à côté.

Cet époustouflant « glissement de langue » se joue en plein jour, à l’insu de tous, sans que personne ne bronche. A travers la plupart des média, les mots peuvent être évalués en monnaie sonnante et trébuchante, comme le poids en kilogramme. Une minute de publicité télévisuelle a été ainsi vendue 1,5 millions d’Euros, le record.