Rouges jardinspar Guy Grandjean
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De la traçabilité clamée au chuchotement nocturne

Humeur

Dans le domaine alimentaire, cette envie de « traçabilité » a été proposée au public il y a une vingtaine d’années, à l’occasion de la crise de « la vache folle ». Vers les années 1995, deux cent mille bovins anglais étaient devenus « fous », fous d’avoir consommé de maléfiques farines animales, mal décontaminées. Deux cent consommateurs de viande en sont morts, des jeunes gens pour la plupart, d’une terrifiante maladie dégénérative appelée maladie de Creutzfeldt-Jakob.

L’enquête a révélé aux consommateurs des pratiques d’élevage surprenantes. Les cadavres promus à l’équarrissage étaient tout simplement recyclés, sous forme d’une poudre très riche en protéines. Procédé scientifiquement approuvé pour améliorer la « productivité » des vaches laitières. Pour la stérilisation de ces répugnants rebuts, une haute température était requise, mais à l’occasion d’un changement de process, des solvants avaient été supprimés, et les températures abaissées.

Les prions, retrouvés classiquement dans certaines maladies neurodégénératives, rarissimes, avaient pu résister à ces nouveaux traitements, et se retrouver dans des hamburgers. Dans un village anglais, deux jeunes personnes avaient été ainsi atteintes, ce qui avait déclenché un véritable séisme dans la filière de viande bovine anglaise. L’enquête n’avait pas totalement abouti, dans la mesure où l’origine des prions « bovins » n’a pas été clairement identifiée.

L’hypothèse la plus probable restera le recyclage d’animaux morts de maladie neurodégénérative , cas -très rarement- décrits chez les bovins. On a parlé aussi du ramassage des cadavres de bêtes crevées dans le Gange par une entreprise anglaise : cette annonce a juste suscité le courroux du gouvernement indien.

Bêtes malades, recyclées sans la moindre hésitation, pour en nourrir d’autres !


Vache corse : recyclage à l'ancienne.

Vache corse : recyclage à l’ancienne.

Depuis, la transparence est de mise, et la traçabilité recommandée, voire obligatoire.
Cette réglementation est sensée assainir toutes les tentations de fraude. Grâce à la traçabilité, on traquerait le faux, le malhonnête, le tricheur, l’incompétent, bref apparemment  un bel outil pour assurer de la belle ouvrage.

Dans un autre domaine, un candidat à l’investiture suprême aux States s’est même proposé de rendre publics ses milliers de mails ! Est-ce une amélioration de nos manières de vivre, de produire, est-ce un progrès ? Rien n’est moins sûr…

Le miroir aux alouettes, c’est un leurre encollé de fragments de miroirs qui attire irrésistiblement les alouettes. Les pauvres oiseaux, comme les papillons de nuit fascinés par les lumières, sont trompés par les rayons du soleil déviés, qui les attirent en les perturbant. Les chasseurs les attendent le fusil au pied.

Plus que les lois, mieux que la multiplication des règlements , n’est ce pas d’abord une question métahysique à poser ?

« science sans conscience n’est que ruine de l’âme »

Notre médecin écrivain de service, Rabelais nous l’a écrit, il y a bien longtemps. Vous pouvez acheter du miel   » CE et hors CE « , la réglementation est respectée. C’est un miel synthétique fabriqué en Chine. CE et hors CE : le monde entier… (pas la lune !!!!) Certains industriels chinois malins sont capables de vous faire des simili miels, high tech, qui se joueront des contrôles analytiques sophistiqués !

Exemple caricatural, mais il en est d’autres bien plus subtils…

Le vin est fabriqué à partir de raisins pressés : c’est tout simplement du jus de raisin fermenté. Les grappes sont maintenant ramassées le plus souvent « à la machine », dans un grand nombre de vignobles. Comptablement, l’usage de la machine divise grosso modo par deux les charges de ramassage, dans nos pays.

Quand l’année est favorable, on parle de belle vendange. Les grappes sont jolies, rares sont les grains abimés. Mais la machine récolte quand même les escargots, des morceaux divers de feuilles, des insectes plus ou moins identifiés …. ce que ne fait en principe jamais le vendangeur.

La vendange « à la main » est très certainement, même les bonnes années, un des critères de qualité. Venons-en « aux mauvaises années ». Conditions métros exécrables, les moisissures s’installent , le Botrytis et d’autres, encore moins fréquentables. Sans langue de bois, les viticulteurs parlent alors « de pourri ». La machine ramasse quand même.

Et grâce à leur savoir faire, les collages and co, les viticulteurs vont quand même vous vendre un vin « potable ». Certains, très riches, se paieront des automates sophistiqués, « pour séparer le bon grain de l’ivraie », le bon grain pulpeux de l’affreux… Mais on s’installe-là dans les châteaux bordelais de haut de gamme. Eh bien vous ne verrez pas souvent »écrit sur la bouteille » : « vendange à la main » !

Bien sur, les viticulteurs, qui résistent à la baisse de qualité des mauvaises années, qui s’agrippent à leurs paniers, à leur  sympathique ambiance de vendangeurs, trouvent preneurs de leur production, et facilement  même, avec des prix supérieurs : la « vendange à la main » se négocie sous le manteau, sans problème… quand l’homme des caves s’occupe du commerce comme de ses plants.

Deux mondes coexistent : le monde qui clame sa transparence, un maquis de réglementations, de bruyants médias, mais parfois en toute opacité, et un monde d’amour du métier, de respect de la vie et de chuchotement.