Rouges jardinspar Guy Grandjean
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En 1951, un virus refroidit le lapinodrome australien

Virologie

1938 Expérience à Wardang Island.

1000 ans avant J.C. : Les Phéniciens, ces marins commerçants méditerranéens d’avant Rome, débarquent sur les côtes de la péninsule ibérique, nom de l’ancienne Espagne. Cadix en témoigne.

La pullulation des lapins les surprend. Ces rongeurs leur rappellent les damans, petits animaux de leur contrée natale. Ils appellent cette terre nouvelle i saphan im, de saphan, daman en phénicien,
qui, latinisé, donnera un peu plus tard Hispania.

L’Espagne, pays du lapin, comme la France, pays de la volaille, avec son coq gaulois. Gibier facile et abondant, le lapin fera le bonheur des ventres creux, pendant des milliers d’années. Il est consommé depuis des dizaines de milliers d’années.

Celui qui n’a pas le droit de le chasser, peut le prendre facilement au collet, avec des chiens, ou des furets. Mais pas question de le laisser copuler à ses aises, c’est un ennemi redoutable et redouté du cultivateur, comme du forestier, car il a la pullulation facile. Il ne ronge pas que de la carotte. Les jeunes pousses tendres , il adore.
Cette belle et longue carrière de rongeur omniprésent va être sérieusement perturbée au XX ème siècle.

1874 : Les européens introduisent 24 lapins en Australie.

1884 :  Malgré un tableau de chasse impressionnant, 20 millions de bêtes abattues, peaux tannées et viande commercialisée sous forme de conserves, Jeannot lapin s’installe, et dévaste des régions entières. Tout végétal lui fait ventre. Le dingo, chien ensauvagé local, se démène comme un fou pour limiter ce raz de marée lapineux, mais en vain. Des centaines de millions de lapins tondent l’Australie comme un oeuf.

1951 : Le gouvernement australien, après de nombreuses études, prend la décision délicate d’introduire le virus de la myxomatose sur son territoire. C’est une première sur une si vaste contrée. Tous les essais précédents avaient été organisés sur des îles.

Le résultat est impressionnant.


Avec lapin puis sans lapin, après introduction du virus.

Avec lapin puis sans lapin, après introduction du virus.

En quelques années, la population est réduite au 1/10 ème, bien sur au prix d’un désolant spectacle d’une immense litanie de cadavres puants de lapins déformés par la myxomatose.

En France, c’est à la même époque qu’un médecin, le docteur Armand-Delille, infectiologue à la retraite, contamine deux lapins de clapier avec le même virus. L’année précédente, malgré un tableau de chasse annoncé de 4000 lapins, sa propriété de 300 hectares avait été tondue par les infatigables incisives, propriété située au dessus de Chartres. Il pensait benoitement que sa propriété, entièrement close de murs, ferait office de laboratoire fermé : comme si il pouvait ignorer que les lapins, ça creuse !

« Il paraît que dans le domaine de Maillebois, les lapins de garenne se « suicident » ! » Voilà ce qui se colporte cet été 1952. On trouve des animaux malades jusqu’à Orléans. Certains parlent de syphilis, en rapports à leur « sexualité exacerbée » !

Les microbiologistes de l’Institut Pasteur identifient le virus mais se perdent en conjectures. Comment ce virus, identifié en Amérique latine en 1898, a t il pu débarquer en pleine campagne française ?

Le 24 juin 1953, le docteur Armand-Delille à l’Académie d’Agriculture, publie : »Une méthode nouvelle permettant à l’agriculture de lutter efficacement contre la pullulation du lapin. » Il indique qu’ayant suivi l’expérimentation australienne, il avait testé la méthode dans sa propriété. Six semaines plus tard, 90 % des lapins qui infestaient ses terres étaient morts. « On voyait des dizaines et des dizaines de cadavres de lapins descendre la rivière », se souvient Georgette Gendron, une ancienne agricultrice de Maillebois.

La maladie se répand comme une traînée de poudre, à travers l’Europe qui est entièrement touchée à la fin des années cinquante. On estime qu’entre 1952 et 1955, 90 à 98 % des lapins sauvages sont morts de la myxomatose en France. Et près de la moitié des lapins d’élevage. Chasseurs, éleveurs, fourreurs, armuriers exècrent le Dr Armand-Delille. À l’inverse, les agriculteurs le soutiennent d’un seul bloc. Ainsi que les forestiers, qui le féliciteront pour cette initiative.

L’affaire fait grand bruit : le médecin perd son procès en 1955. Une nouvelle législation naîtra de ce fait sur les essais de « lutte biologique ».

Ce virus, très ancien, sévissait dans les Andes, de manière sporadique. Il était étudié par des biologistes Sud Américains. Sa virulence était bien moindre dans les populations d’espèces locales de lapins, qui le plus souvent étaient porteurs asymptomatiques. Son implantation dépend de nombreux facteurs, essentiellement de la présence de vecteurs tels les puces, les tiques, les moustiques, moucherons ou autres insectes piqueurs.

En Australie, la pression du virus est moins forte pendant les sécheresses, par diminution du nombre de moustiques. La survie du virus en hiver peut s’expliquer par sa présence dans les tiques molles, ces tiques qui peuvent survivre dans leur biotope de un an à dix ans sans nourriture !

En 2005, le registre foncier du Royaume-Uni, a mené une enquête sur 16 000 hectares. Conclusion : le lapin a un triplé sa population tous les deux ans : c’est clairement dû à l’augmentation de la résistance au virus : l’histoire n’est donc pas terminée !


Maître renard.

Maître renard.

Maître renard regarde ce virus d’un sale oeil. Il a vu son collègue le lynx ibérique disparaître, faute de proies. Notre goupil n’apprécie donc guère ce virus, pas plus d’ailleurs que le nouveau virus apparu en 1986 en Europe, le virus hémorragique du lapin, le RHDV.

Ce virus là avait été repéré en Chine dès 1984. En moins d’un an, il y avait tué plus de cent millions de lapins domestiques !
C’est un virus foudroyant, contagieux et très résistant dans le milieu externe, c’est le bouquet !

C’est dire comme certaines régions deviennent hostiles à notre sympathique lapin de garenne ! Quant aux éleveurs, ils ne peuvent plus guère se passer des vaccins !

En 2017,  le gouvernement australien décide d’introduire une souche  sélectionnée de RHDV, très virulente. En 2 mois, près de la moitié des lapins de La Nouvelle Galle du Sud seront exterminés. Les recherches ont montré que ce virus RHDV était proche d’autres virus peu pathogènes, mais  bien répandus chez les rongeurs de tout poil. Quant à son émergence en Chine en 1984, le mystère reste entier…