Rouges jardinspar Guy Grandjean
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La bête du Kentucky

Bactériologie

La salmonelle & l’antibiorésistance

La grippe saisonnière nous montre que la nature a le gout du jeu.

C’est une grande enfant cruelle qui aime les puzzles. Les virus grippaux qu’elle nous fabrique chaque année sont des assemblages. Un peu de cochon, une plume de volaille, un poil d’homme.
Le virus initial, qu’on ne connaitra sans doute jamais, est probablement d’origine aviaire.

Mais à chaque fois qu’il réémerge, il doit passer chez le cochon, pour espérer un jour toucher l’homme, c’est à dire s’humaniser. Pour lui, s’humaniser c’est connaître assez nos défenses naturelles pour les contourner. Dans le passé connu, un seul a vraiment réussi, à la fin de la première guerre mondiale.

Cette épidémie de grippe a été incontestablement la plus effroyable du siècle. Les anciens parisiens se souviennent des interminables cortèges de corbillards qui étaient à l’époque tractés par des chevaux.

Ce virus grippal retranscrit chaque année les étapes d’une authentique métempsychose. Son « terrain de jeu » premier est l’Asie, continent surpeuplé depuis longtemps. Un autre lieu d’ébats est né dans le nouveau monde, le H1N1 en fut le fruit le plus récent. Mais actuellement, d’autres terrains l’attirent, et à dire vrai, ces endroits surpeuplés d’hommes et d’animaux prolifèrent.

Ces hommes viennent de lui en dresser un en Egypte, où le bouillonnement humain s’accompagne en douce d’un brassage bactériologique sans antécédent. Se souvient-on du E coli 104 qui avait fait trembler l’Allemagne en 2011 ? Il avait tué une cinquantaine de personnes en pleine santé. Le premier coupable désigné avait été un concombre. Innocenté ensuite, et ce sont des graines de fénugrec, cultivé en Egypte, qui avaient ensuite porté le chapeau. C’est dire qu’en fait, elles transportaient la mort sur leurs parois. Ce germe redoutable avait été repéré une seul fois en Corée quelques années auparavant.

L’Egypte est un désert, mais les dieux ont su lui être favorables, en y implantant le Nil.
Une des plus impressionnantes civilisations passées y est née, quoi de plus normal, ce biotope là était un bonheur pour l’humanité naissante.

Puis les hommes sont devenus fous, les égyptiens comme les autres. Fondamentalement invasifs, sans doute comme chaque espèce vivante, ils n’avaient sans doute guère d’autre choix. Le rêve animal d’hégémonie se transforme aujourd’hui en tentative d’autodestruction généralisée. Il n’ a fallu aux égyptiens que quelques siècles pour anéantir ce jardin, salir le grand fleuve, annuler l’effet bienfaisant des crues.

Tant et si bien que vers les années 1980-90, les pêcheurs ne ramenaient plus rien dans leurs filets qui filtraient pourtant inlassablement le Nil. La faim menaçait. L’aquaculture s’est imposée, le Tilapia fut plébiscité. La volaille industrielle fut aussi mise à contribution. Avec une petite différence avec nos pays. Il peut y faire chaud, très chaud même. Et les bactéries aiment bien.
Dans les fortes concentrations animales, le virus s’épanouit, le germe calamiteux s’affaire.
D’où la nécessité de ne pas mégoter, question antibiotiques, si l’on ne veut pas voir disparaître la manne, sans cesse menacée d’épidémies.

Le poisson se nourrit de céréales, de soja mais aussi de fientes de poulets et autres fumiers animaux. Une fois mis en filets, ses rebuts nourrissent les volailles, c’est riche en calcium, un régal pour elles. Une efficacité certaine dans l’organisation a mis ainsi la population à l’abri des famines.

Et un beau jour, arrivée du Far West, la bête du Kentucky s’y est plue. Chaleur, humidité, promiscuité. Le tiercé gagnant, le jack pot. Sa terre promise, alors qu’aux Etats Unis, où on l’a isolée et nommée initialement il y a longtemps, elle végétait.

Près du Nil, elle s’est forgée un bel avenir. Elle a récupéré des morceaux d’autres bactéries, des vibrions, aquacoles par nature. Et surtout elle a résisté à la pression antibiotique, en s’armant de nombreuses enzymes, piochées à d’autres espèces pullulantes. Elle a commencé à se répandre, et même très rapidement en Afrique. Elle a franchi la Méditerranée, elle tâte le terrain Européen. Là, ça va être coton pour elle, les vétos l’attendent de pied ferme. Mais elle s’est déjà faite remarquer dans quelques élevages. Que l’Europe cède, et le monde lui appartiendra.

Cette bête, c’est Salmonella Kentucky, c’est une salmonelle multirésistante.

Les bactériologistes aiment braire dans le désert, y compris égyptien. La caravane passe, les chiens aboient, les lions ricanent, et mon coeur se serre.

Fleurs de lune