Rouges jardinspar Guy Grandjean
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Un acarien qui nous savoure

Médecine

Les espèces d’ acariens sont très nombreuses, probablement de l’ordre du million.

On les retrouve un peu partout, y compris sur certains fromages. On les y dépose d’ailleurs tout à fait sciemment, et ils travaillent là pour notre plus grand bonheur gustatif: le fromage aux artisous du Velay, la boule de  Lille etc. Certains d’entre eux sont des agresseurs avérés, les tiques, l’agent de la gale  -le sarcopte-, les aoûtats.

Nos draps et oreillers pullulent d’autres espèces, dont la plus fréquente au monde est le Dermatophagoïdes pteronyssimus, l’idole des allergologues. Ils se nourrissent de nos squames, de nos pellicules, que nous produisons en permanence. Leur habitat est notre habitat, en particulier le lit, bien sûr. L’allergie que leur présence peut provoquer invite à nettoyer, aspirer les sols; aérer chaque jour chaque pièce, y maintenir une humidité raisonnable… Mais d’autres sont encore plus malins, ils ont choisi de nous coloniser, en toute discrétion…

Voici une description bien classique,  fréquente dans nos laboratoires :

Cette personne âgée consulte pour une inflammation de l’épiderme des paupières, une blépharite, traînante. Je lui arrache précautionneusement quelques cils, qui sont délogés comme des poireaux.
Je les place dans un peu d’eau, sous une lamelle. Au microscope, une population abondante et grouillante me saute aux yeux dès le premier champ.

Demodex follicorum

C’est le Demodex, qui peut être présent sur des paupières saines, mais dont le nombre ici impressionne; dans ce cas il semble difficile de l’innocenter… Ces acariens sont peu présents chez l’enfant, absents chez le nouveau né. Avec l’âge, nous sommes peu à peu colonisés, et pratiquement toutes les personnes âgées en hébergent sur leur peau, certaines en grands troupeaux. Après 90 ans, pratiquement 100% de la population est concernée, la plupart du temps sans en être gênée le moins du monde.

Ce Demodex, c’est un symbole : vierges de virus, de bactéries, de colonisateurs divers, dans le ventre primordial, tous les bébés du monde, après avoir été projetés dans la vie, sont assaillis par nombre de ces vies microscopiques. La plupart de ces minuscules vies nous sont indifférentes. Clairement certaines nous aident, et on parle alors de plus en plus de symbiose, pour ces bactéries comme le Lactobacillus.
Pour moi les Demodex sont des commensaux, jusqu’à plus ample connaissance. C’est à dire qu’ils se nourrissent de nous, sans nous nuire… 

Mais, bien sur, d’autres micro-organismes  nous agressent.

Notre système immunitaire, éducable et  éduqué dès les premiers instants, s’avère être extrêmement puissant pour nous en défendre.  L’histoire humaine nous montre que la nature s’ingénie à créer de nouvelles horreurs régulièrement.

Depuis 1950, le reflux du péril infectieux était notable dans les pays industrialisés. Le chauffage des maisons, une nourriture saine, une hygiène quotidienne,  et quelques vaccinations semblaient avoir eu raison de ces microbes malfaisants, du moins dans les pays « riches ». Mais, surpopulation aidante, biotopes bouleversés, contacts multipliés par les voyages, l’opportunisme de ces empêcheurs de tourner en rond redevint manifeste.

Car tout être vivant petit ou grand, a horreur de ressentir les âfres de la  faim. Ce sentiment là est un moteur, qui est bien plus qu’une  motivation, qui elle, est recherchée quand les estomacs sont repus.

L’opportunisme est donc inscrit dans chaque programme vivant.

Le Demodex, très modeste, se contente de sébum, et sans doute depuis fort longtemps. Notre immunité se joue aisément de ce petit boudin à pattes, mais, avec l’âge, certaines de nos défenses baissent leur garde! Et, parfois, la prolifération de Demodex peut devenir gênante, mais jamais dramatique, du moins pour nous. Dans d’autres espèces animales,  sous d’autres cieux, ces acariens peuvent être redoutables….

Personnellement, je n’aime pas l’idée de servir de mangeoire à ces petits cochons….

Cet animal n’a pas d’anus: donc pas de KK, il se contente de péter : il accumule dans son corps certains types de déchets, l’essentiel étant gazeux. Le sébum et les cellules mortes constituent sa fourniture exclusive, et il semble jouer un rôle dans la rosacée, peut-être par l’entremise d’une bactérie qu’il héberge en abondance , Bacillus oleronius.

Mort, il se dissous littéralement dans le sébum, ou est rejeté au niveau du bulbe. Il semble fuir la lumière. Il se déplace de préférence  la nuit, où il passe d’un follicule pileux à un autre, ou croise un individu de sexe opposé pour se reproduire; il ira  pondre ensuite à la base d’un poil. Sa vitesse de croisière, 10 cm/heure. Peu de personnes ont conscience que la peau de leur visage est fatalement, à un moment ou à un autre, un copulodrome pour acariens!

Curieusement, chaque espèce animale a son Demodex, et elle y est inféodé, c’est  dire qu’il ne dispose d’aucune liberté d’installation. Le Demodex du chien, animal familier très courant, ne peut nous entreprendre, le sébum de canidé ne doit pas avoir le même saveur…

Demodex follicorum