Rouges jardinspar Guy Grandjean
search icon
Retour

Un conflit d’intérêt à cent mille morts : une fable dévoilée.

Bactériologie

1720 : La mondialisation s’intensifie. La locomotive commerciale de l’époque est la République des Provinces Unies, les Pays-Bas. En fait, tous les pays d’Europe accueillent chaque année des bateaux chargés d’épices, de tissus, de richesses diverses colportées des quatre coins du monde. Débarquent aussi les indésirables : les clandestins, hommes, mais aussi animaux, plantes inconnues ou leurs graines, virus, germes. Les plus détestés, car les plus abondants, les plus manifestes, sont les rats.


Le débarquement de passagers indésirés

Le débarquement de passagers indésirés

Pendant les 4 siècles précédents, l’Europe a donc été aussi soumise des épidémies importées : les gouvernements ont fini par admettre la notion de contagion, la plus fréquente en pratique était celle de la peste. Ces pays administrés ont donc organisé des procédures pour que ces bateaux venus d’ailleurs subissent un contrôle sanitaire permanent et des quarantaines.

L’efficacité est notable pour l’époque, car cette société ignore tout des modes concrets de transmission du germe de la peste, notion d’ailleurs inconnue : on ne parle que de miasmes, synonyme de souillure.

Les quarantaines sont donc exigées à chaque arrivée. Seuls quels ports en France sont habilités à recevoir ces bateaux.

En Méditerranée, c’est Marseille. Chaque capitaine doit fournir un document écrit, une patente. Cette patente doit signaler si le bateau vient d’un pays connaissant « la contagion « , c’est à dire, en réalité, la peste. Mais aussi, si il y a eu des morts pendant le voyage.

Si le voyage s’est déroulé sans soucis, la patente est dite nette, et la durée de la quarantaine minime. 18 jours pour les personnes, 38 pour les marchandises. Si des problèmes sont apparus, la patente est dite brute. 35 jours pour les personnes, 60 pour les marchandises. Le capitaine risque la peine de mort ou la galère, suivant le pays et l’époque, si sa déclaration est entachée d’erreur.

A Marseille, l’organisation est rigoureuse, du moins sur le papier, car c’est le seul port qui commerce avec les pays du Levant, où la peste fait régulièrement des ravages. En cas de patente brute, la quarantaine est faite sur des îles en face du port.

En gros, 1% des bateaux sont porteurs de peste. Mais le système marche bien, pendant 70 ans, ce grand port n’a plus connu d’épidémies, malgré des milliers d’arrivées. Le bateau est d’abord amarré en pleine eau, des intendants de santé viennent en canot saisir la patente avec une longue pince. Ils la trempent dans le vinaigre, la font sécher. Ils peuvent aussi lui faire subir une fumigation, à base de parfums. Suivant les informations, ils dirigent le bateau soit vers l’île de Jarre, si la patente est brute, soit vers le lieu-dit l’infirmerie, dans le port, si la patente est nette.

Ce vaste endroit clos, est isolé de hauts murs. Les travailleurs, les portefaix, n’ont pas de liberté de mouvement, ils vivent enfermés dans cet endroit où ils purgent les marchandises importées ; c’est l’expression de l’époque pour le déballage, l’aération, le nettoyage des marchandises.

C’est bien entendu un métier très dangereux, ils jouent un peu le rôle des canaris qu’on installait au fond des mines comme grisoumètres. En présence de méthane, la mort des pauvres oiseaux avertissait les mineurs de l’imminence de dangers, asphyxie, explosion.

Cette année-là, en mai 1720, un bateau suspect arrive du Moyen-Orient. Un des armateurs est le premier échanson de la ville, le maire en fait, les intendants de santé ont aussi des intérêts sur cette cargaison, ce sont des grands marchands ayant pignon sur rue. Et ce petit monde va faire pression sur le capitaine, qui visiblement ne résiste pas vraiment.

L’enquête montrera qu’il possède lui-même une partie de la cargaison. Ils le font dérouter pour chercher une patente nette dans un port italien pas trop regardant, et tranquillement faire débarquer les marchandises au lieu dit l’infirmerie. Il y a eu pourtant 9 morts pendant le voyage,ce qui est rare, et tous ces commerçants savent que la peste fait rage à Damas (On a retrouvé des documents le prouvant).

Ce lieu est clos, et la peste, en fait les rats et puces présents dans les ballots de tissu, aurait pu y rester circonscrite, puisque personne ne peut normalement sortir de ce lieu pendant la petite quarantaine.

Hélas, quelques gardes s’avèrent laxistes, peu attentifs, ou corrompus, au choix, car des tissus et vêtements sont passés à travers les grilles. Des pièces seront vendues dans la ville.

L’enquête concluera que c’était très probablement ce petit trafic qui fut à l’origine de l’entrée de l’abominable germe dans la ville. Il y  aura en tout 100 000 morts, c’est la dernière épidémie de cette ampleur en Europe.


Pasteur

L’enquête reprise il y a quelques années, a abouti récemment à une toute autre conclusion. Les analyses ADN des bactéries en cause ont montré leur origine européenne de manière formelle. L’épidémie est donc une résurgence de germes restés silencieux, probablement au sein de ce qu’on appelle un réservoir animal, qu’on ignore à ce jour. Les quarantaines ne sont plus mises en cause, et les conflits d’intérêt « innocentés »!

L’extraordinaire rapidité de la contagion s’explique simplement : riches et pauvres, tout le monde se grattait. Les puces étaient omni-régnantes. Certes, les personnes plus soigneuses en portaient moins, et on peut admettre que la charge en puces était proportionnelle au manque d’hygiène.

Mais il était pratiquement impossible d’y échapper.

Les indiens ont subi une épidémie de peste à Surate, en 1994. Une centaine de morts. Grâce à de nombreuses réformes et une incroyable volonté, Surate est passée du statut de ville la plus sale à l’une des plus propres du pays en seulement 18 mois. Cet effort est notamment dû à l’implication du conseiller municipal, Suryadevara Ramachandra Rao.

Plus incroyable encore, Surate a presque réussi à maintenir ses normes d’hygiène dans le temps,  et ce, malgré une impressionnante expansion de la ville au cours de la dernière décennie. C’est de toute évidence une véritable leçon pour le reste de l’Inde.

Reste à appliquer le « plan de nettoyage » et d’organisation urbaine de SR Rao à l’ensemble du pays !