Rouges jardinspar Guy Grandjean
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Ouille Ouille Ouille Aie

Médecine

 

 

Dans les religions anciennes, les nouveaux venus, jeunes enfants, adolescents, étaient parfois soumis à des rituels qui pouvaient être douloureux. Très douloureux, même, hyperalgiques, dit-on en jargon médical.

En Australie vivaient quelques centaines de tribus avant l’arrivée des hommes blancs au XVIII ème siècle. Certains groupes exigeaient des adolescents qu’ils aient le pénis fendu, par en dessous, un peu comme une demi-banana split.

La coupure s’opérait avec une pierre affûtée, on était encore là en plein néolithique. Certains observateurs y ont vu une probable pratique anticonceptionnelle « musclée ». La chasse, principale activité, s’avère un art difficile dans ces déserts, et ne permet pas de nourrir de nombreux enfants…

 

 


Théodore, fils de missionnaire, né en 1908, et élevé seul blanc, parmi les aborigènes de la tribu des Arandas. En plein coeur du désert australien. Il entreprend des études classiques, puis revient vivre avec les Arandas, qui l’autorisent à enregist…

Théodore, fils de missionnaire, né en 1908, et élevé seul blanc, parmi les aborigènes de la tribu des Arandas. En plein coeur du désert australien. Il entreprend des études classiques, puis revient vivre avec les Arandas, qui l’autorisent à enregistrer toutes leurs us et coutumes. Les anciens lui proposent même de photographier des cérémonies tenues secrètes jusqu’alors : ils savent que leur culture est en train de disparaître, et veulent laisser un témoignage.

 

 

Les européens appelaient ces fêtes des cérémonies initiatiques, dont certaines se déroulaient dans le plus grand secret. Très rares ont été les occidentaux qui ont pu y assister. Et ces extraordinaires photos n’ont pu être publiées qu’à la mort des derniers anciens « traditionalistes », transmetteurs « des chemins du rêve ».

Devenir un homme, c’était supporter stoïquement ces blessures infligées par ses proches, c’était en même temps entrer dans « les chemins du rêve » : un univers poétique,  de prise de connaissance d’une géographie métaphysique et pratique de grande précision.

Cette connaissance a permis aux aborigènes de survivre dans des paysages incroyablement hostiles. Toutes les ressources de nourriture et d’eau étaient comme catalogués dans ces poèmes que les adolescents devaient apprendre par coeur.

Ils dessinaient leur territoire, comme les endroits des réunions programmées entre groupes. On a montré récemment que des réalités vieilles de plusieurs milliers d’années pouvaient y être décryptées.

La boule centrale symbolise l’estomac du bandicoot, petit kangourou. Deux hommes tournent à genou autour des cercles en plumes.

Au XX  ème siècle, l’accélération des échanges tout autour de la Planète bouleverse la vie de maintes tribus, vivant jusqu’alors de manière plus ou moins isolée. Phénomène absolument nouveau pour ces micro-sociétés.

Choc de culture : néolithique versus civilisation judéochrétienne-néoindustrielle ! Des adolescents se carapatent, fuyant les diktats des anciens, refusant en l’occurrence d’avoir le zizi transformé en banana split, entre autres pratiques bien cruelles.

De facto, ces pratiques disparurent peu à peu, faute d’amateurs… Au grand désespoir des ancêtres, qui voyaient leurs systèmes de croyance s’effondrer.

La religion juive, elle, demande la circoncision des enfants mâles. Le XX ième siècle est passé par là, avec ses formidables progrès médicaux : les anesthésiques locaux sont souvent utilisés.

Ann Tadio and co, en 1997, ont « étudié  » la perception de la douleur chez les petits enfants. Elle décrit les réactions de l’enfant à la vaccination. Cette perception de l’acte est d’ailleurs  dépendante de l’opérateur. Un(e) médecin ou un infirmier (e) expérimentés et rusés n’infligent qu’un petit désagrément passager, alors que d’autres ont droit aux regards noirs des enfants, après les cris.

A l’aide d’une grille codée, Ann Tadio a évalué« la douleur ressentie » chez ces enfant vaccinés. Nous sommes ici bien sûr dans un univers non verbal. Enfants qu‘elle a classé en trois groupes : non circoncis, circoncis « à l’ancienne », circoncis avec de la crème Emla anesthésiante. Ceux ayant été circoncis « à la papa »manifestaient plus d’expressions de douleur à la vaccination que ceux ayant profité de la crème Emla.

La preuve, si il en fallait, que les impressions douloureuses laissent dans le corps des traces, bien sûr de manière idiosyncrasique, c’est à dire « propre à chacun ».

Avant le XX ième siècle, très peu de médecins dans le monde occidental connaissaient les usages analgésiques des dérivés morphiniques et  cocaïniques.

Le pavot et la coca fondèrent les deux piliers premiers de l’anesthésie. En Occident, les douleurs étaient « offertes au Seigneur ».

« Qui aime son fils prodigue le fouet

« Qui aime bien châtie bien »

« La peau du cul, ça repousse »

« Tu accoucheras dans la douleur » etc.

tentaient de donner du sens, à défaut de sédation. Toutes ces douleurs physiques, mais aussi« morales » assaillaient tout le monde, riches et pauvres. Elles nous imprégnaient dès le premier âge, et modelaient une part du psychisme de nos ancêtres. Il fallait bien la passion de la vie, peut-être « la foi en Dieu », pour surmonter toutes ces épreuves, éviter la folie proche, la mélancolie… ou se durcir comme un vieux singe.

Pensez que notre monde ne vit en paix que depuis 60 petites années ! Ann Tadio nous montre que nos toutes premières expériences, si elles sont entachées de douleur restent gravées dans notre corps. On est loin du discours de quelques chefs de pédiatrie qui déclaraient péremptoirement dans les années 1980 que les bébés n’éprouvaient pas la douleur* !

A l’inverse, on peut observer qu’une petite enfance protégée peut nous offrir un matelas douillet, pour nous aider à affronter plus tard « les aléas de la vie » en offrant sa confiance en l’adulte, donc en soi-même… Il est piquant d’observer que l’inventeur de « l’inconscient », le médecin Sigmund Freud, lui-même cocaïnophile pendant plus de 10 ans, a été un des premiers médecins à vouloir aider les hommes à se défendre de la douleur en introduisant l’usage de la cocaïne en médecine occidentale.

Il s’attaquait là à un inconscient plus concret, plus charnel, que celui qu’il a tenté de décrire pendant ses années de psycho-analyse. Il comptait beaucoup sur cette cocaïne pour connaître la gloire et l’aisance. Il savait qu’elle allait révolutionner la chirurgie oculaire, dentaire,  gynécologique,  dermatologique…

Mais cet été là, il préféra la vie avec sa fiancée Martha… Et à la rentrée, un collègue ophtalmologiste lui vola la vedette en publiant avant lui. Son heure de gloire fut repoussée, l’humanité toute entière s’en trouve sans doute mieux ainsi, en admettant les bienfaits de« la cure par la parole » : cette  approche médicale que par la suite S. Freud n’a eu de cesse de favoriser pour combattre « les souffrances morales ».

Il réactualisait là une vieille écriture biblique :

« in principio erat verbum »

»et verbum erat apud Deum »

« et Deus erat verbum »

« au commencement était la parole ».

Et nous dirions aujourd’hui :

«  la parole venait de notre nature ».

«  la nature était la parole ».

 

 

* Certains avaient peut-être été impressionnés par l’attitude de bébés au sein. On peut pratiquer quelques actes douloureux, type prise de sang, à des bébés au sein, sans les voir réagir. Le mécanisme n’est pas vraiment bien compris. Le lait maternel a t il un effet proprement analgésique, ou le plaisir et l’attention tournés vers la succion détournent-ils de la sensation douloureuse ?