Rouges jardinspar Guy Grandjean
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Le lait cru: glamour ou meurtrier ?

Humeur

La vache fainéante broute couchée.

Humez un lait frais légèrement chauffé : une merveilleuse odeur vous remplit les narines, un accord parfait s’établit entre vous et lui, tous vos soucis s’évaporent un instant, avec les fumerolles qui s’échappent de la casserole. Un peu de miel dans cette tiédeur, et le calme vous envahit avec cette dégustation.

Et pourtant !

Voici notre plaisir emprisonné dans des briques, tel un assassin, voici notre nectar cloué au pilori, cru et nu, tant décrié qu’il en est devenu interdit à la vente dans certains pays !

Quelle est cette histoire de fou ? Qui a assassiné cet élixir* ?


Vache Gersiaise jolie

Vache Gersiaise jolie

Deux responsables sont facilement débusqués :

L’ agrobusiness, et le mouvement « naturopathe ».

Dans ma Bretagne natale, l’agrobusiness s’est déployé dans les années 1960. A cette époque, qu’elle était belle cette campagne Bretonne ! L’habitat joli, les odeurs de campagne fleuries, les habitants nombreux, et ne pensez pas une seconde que j’ignorais la dureté de la condition paysanne !

Sanders, une société vendeuse d’aliments, s’est mise à prospecter la région. Elle offrait le bâtiment, la nourriture, pour élever cochons et poulets, aux petits agriculteurs qui avaient bien du mal à joindre les deux bouts. Contre un peu de travail, soigner les bêtes, l’offre était tentante, voire irréfutable !

L’industrialisation de notre agriculture débutait, le ver était dans la pomme. Il aurait pu se transformer en papillon, il a préféré devenir cafard. Pour le lait, on s’est mis à mélanger le lait de Pierre, Paul, Jacques… Celui qui traitait ses bêtes dignement avec celui qui les « maltraitait », sans jeu de mot. On s’est mis à fabriquer des vaches pisseuses de lait, et puis à agrandir les troupeaux, à concentrer les outils de ramassage. Le minimum d’ UTH***, pour un volume maximum d’ UHT ! Le nouveau credo. Pour arriver récemment à la « ferme des 1000 vaches », qui est, en fait, une usine. Usine censée pouvoir concurrencer celle des 10 000, outre-atlantique, qui sera battue bien-sûr par celle des 100 000, à moins que…

Cette formidable course au gigantisme, revient naturellement à favoriser la bactérie, le virus : ils adorent la promiscuité, et dans cette nouvelle configuration, les animaux vivent enfermés, entassés, dans une atmosphère quasi excrémentielle.

Alors qu’on s’était débarrassé en France des deux ennuyeux, la Brucelle**, et le bacille de la Tuberculose bovine, on se mis à parler de-ci de-là de nouveaux venus. Dans une France différente, dans une France informée, à l’écoute journalière des drames de tout bord. Ce qui est sans doute très désirable. Les crises de la vache folle, du fenugrec égypto-allemand, du virus H5N1, etc., ont certainement été mieux traitées ainsi.

Mais cette « transparence » se ternit, quand elle n’est pas « éclairée ».

La Listeria n’est préoccupante que pour les femmes enceintes, et les personnes immunodéprimés. Les Escherichia coli producteurs de Shigatoxines ou STEC sont très rarement mis en causes dans les intoxications à partir de lait cru. Par précaution, vous pouvez chauffer légèrement le lait cru pour les enfants de moins de trois ans, les femmes enceintes et les personnes immunodéprimées. Mais cette pasteurisation maison vous procurera de toute façon un lait bien meilleur, car les producteurs de lait cru sont motivés, compétents, contrôlés, et certainement plus traçables que bien d’autres producteurs.

Voilà une simple vérité : dans une ferme bien tenue, avec des animaux bien soignés, le risque d’être intoxiqué par un lait cru est nul, ou extrêmement faible.


Veau Galloway têtant : sa langue est rose et noire

Veau Galloway têtant : sa langue est rose et noire

L’autre responsable agit dans un tout autre domaine. Celui des croyances, des idéologies, au sens premier, « de système d’idées ».

Après avoir débusqué la maladie coeliaque, cette maladie rare, mais étonnante dans nos pays de tradition céréalière multi-séculaire, on s’est mis à réfléchir sur la présence de gluten dans notre alimentation. Et c’est une bonne chose, l’indigeste gluten est bien trop présent dans nos assiettes. Mais il ne viendrait l’idée à personne de supprimer les céréales de notre alimentation.

Après avoir débusqué les intolérances au lait fréquentes chez le nouveau-né, mais qui s’estompent ensuite le plus souvent, après avoir constaté qu’une partie des adultes « ne digèrent pas le lait » par insuffisance de l’enzyme lactase, certains groupes de médecins, « naturopathes en tête » , ont décidé que le lait et les produits laitiers devaient être exclus de l’alimentation.

Je peux observer les mécanismes de la divulgation de cette « nouvelle mode » en Loire-Atlantique.Un médecin généraliste travaille en binôme avec un médecin adepte de « médecine chinoise » : sans autre argument que l’argument d’autorité, ils assènent un « régime sans lait ni gluten » à de nombreux patients, qui viennent les consulter pour des problèmes de santé divers.

Sous prétexte que ce régime « sans gluten ni lactose » est remarquablement efficace chez certaines personnes, et pas que des « coeliaques », pour des troubles divers, ces deux comparses n’ont aucune hésitation à répandre ce comportement, à tendance légèrement masochiste,  larga manu, et la parole de médecin est parole divine…


Vache corse

Vache corse

Des travaux récents sur le microbiote intestinal suggèrent pourtant de biens différentes directions pour le soin de maladies émergentes. Par exemple, il est démontré depuis longtemps que les enfants vivant dans les campagnes souffrent moins de problèmes d’allergie qu’à la ville. Plus récemment a été précisée la responsabilité d’un microbiote déséquilibré dans l’apparition des phénomènes allergiques.

Et ce microbiote se constitue à travers tous les contacts que peuvent avoir les enfants avec leur environnement microbiologique, au sens large. Les animaux qu’ils touchent, les aliments qu’ils consomment, les divers produits de la ferme qu’ils manipulent.

Le lait cru contient de nombreuses espèces de bactéries, levures et même moisissures. Et ce sont ces germes qui vont organiser toutes les qualités organoleptiques des fromages. C’est pour cette raison que les fromages industriels sont bien moins « goutteux », malgré tous les efforts pour sélectionner et faire travailler « les bons ferments ». Et récemment, on a même découvert un continuum bactériologique entre le pré, le trayon de la vache, et le lait produit. Fallico et al (2011) ont montré  l’origine végétale d’une souche laitière de Lactococcus lactis, et donc la transition « plante-lait » des microorganismes. Yvette Bouton de l’INRA de Poligny a confirmé la présence de bactéries « des champs » dans le lait par des analyses ADN. Ce qui bien sûr conforte la notion de terroir, via ce continuum bactériologique. Ces découvertes se déclinent pour tous les aliments fermentés. Pour les fromages, on parle de flore de barrière, qui empêche l’implantation de bactéries pathogènes. Alors que le lait stérile leur laisse le champ libre, et n’est donc pas moins délicat à manipuler. L’extraordinaire puissance des nouvelles techniques d’analyses ADN nous font découvrir un nouveau monde, où l’immense majorité des espèces bactériennes et virales se révèlent être le plus souvent nos amies. Nos ennemis microscopiques ancestraux sont peu nombreux, bien connus, et maîtrisés.

Si vous stérilisez tous les aliments, et c’est la méthode américaine en vogue, tristement adaptée aux élevages géants, vous appauvrissez ipso facto votre environnement microbiologique intime, et sa biodiversité. Vous transformerez, à votre insu, votre microbiote intestinal, ce qui fait le lit de nombreuses maladies émergentes****.

* Clin d’oeil à un paysan belge Gustave Wuidart

** Redoutable bactérie pathogène, responsable de la fièvre de Malte.

***UTH unité de travail humain, langage de la technostructure.

**** Maladies inflammatoires de l’intestin, allergie, diabète : le début d’une longue liste.