Rouges jardinspar Guy Grandjean
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Un palmipède chez les gallinacés

Mystique

 

 


Le canard est un grand spécialiste de la physique ondulatoire

Le canard est un grand spécialiste de la physique ondulatoire

Ce canard avait grandi au milieu de poules. Caneton, il partageait déjà la volée de graines journalière, suivait ces incessantes grateuses en quête d’invisibles nourritures. Il se réveillait au chant du coq, suivait des yeux la mystérieuse cérémonie de la ponte matinale. Il supportait les caquetages étourdissants de la pondeuse satisfaite. Il n’avait jamais mouillé ses palmes dans cet univers pur poule. Bref, c’était plus une ombre de canard qu’un volatil né pour la vie aquatique.

 

 


Poule punk

Poule punk

Sa vie pris un nouveau tournant au bout de quelques années. Il fut mis en présence d’un grand bac d’eau en acier galvanisé. Sautant rapidement dans cette grande bassine pourtant assez haute, il débuta illico presto un spectacle qui nous surpris : en redevenant canard en quelques courtes secondes, il se mit à plonger, à s’ébrouer, à battre des ailes, montrant ostensiblement un bien être palmipède tout à fait évident. La scène était fascinante, ce volatil ayant vécu des années dans la rugosité d’un poulailler, il retrouvait le moelleux, l’insaisissable liquide pour lequel il était destiné, cette eau formidable qui l’avait façonné.

 

 


Palmipèdes le croupion à l'air

Palmipèdes le croupion à l’air

Cette rencontre entre l’oiseau et son milieu naturel m’impressionna pour la puissance qu’elle dégageait :
l’instinct était resté chez cet oiseau à fleur de plumes, malgré les années d’abstinence.

Ce bien être sans faille me renvoyait à mes vacances d’enfance que je passais dans une ferme en Bretagne. Cette nature qui m’imprégnait en me rendant parfaitement heureux, petit parisien déraciné pour son plus grand plaisir. Plus tard, les études longues et laborieuses me coupèrent peu à peu de ce monde de la sensation. Je devins un intellectuel d’une insatiable curiosité, sans percevoir que ces représentations m’éloignaient du monde sensible. L’instinct humain. Ces deux mots accolés semblaient contradictoires, pour toujours, dans cette culture judéo-chrétienne qui m’avait façonné. Et pourtant, sans avoir jamais pu les définir, je reste habité par eux. Et étrangement la vie m’a donné quelques fois l’occasion de les expérimenter, à mon insu, en quelque sorte.

En 1987, je travaillais dans un laboratoire en Bretagne, c’était ma première expérience de « prise de responsabilité ». Quelques anicroches, quelques « erreurs » mal vécues, une vie menacée par l’une d’elles, me plongèrent en quelque jours dans un monde nouveau : le monde de la folie.

 

 


Un monde paradoxal où les moments d’incroyable bonheur étaient à la seconde suivante habités d’angoisses les plus effroyables. Moi le petit fils de Descartes, qui avait appris à tout maîtriser pendant trente ans, tout m’échappait. Mon cerveau fuyait de toute part. J’étais le jouet de forces inconnues qui m’invitaient à des comportements pleins de sens et de vie ; certains étaient pourtant d’une redoutable imbécilité.  Le monde qui m’entourait me reconnaissait à chaque moment, me guidait vers des sommets de félicité, malgré une paranoïa incoercible autant que terrifiante. Plus rien ne m’était étranger, de même que je n’étais plus étranger à personne, pas plus aux nuages, aux arbres qu’aux personnes que je croisais sur mon chemin.
La vie devenait un chuchotement permanent entre moi et tous les êtres qui m’avoisinaient. Et même des personnes décédées qui gémissaient. J’étais traumatisé à jamais. Mais je savais désormais que, comme moi, la plupart des hommes « vivaient à la petite semaine », qu’ils poursuivaient des buts dérisoires.
Qu’ils vivaient en ignorant l’essentiel.

 

 


Une simple flaque d'eau glacée était d'une beauté à vous couper le souffle.

Une simple flaque d’eau glacée était d’une beauté à vous couper le souffle.

Ma deuxième plongée dans ce monde merveilleux et terrifiant, mais non maitrisable eu lieu à un retour de vacances, quelques années plus tard. La suite d’évènements fut la suivante : trois semaines de vacance « idylliques », un film très impressionnant sur le bateau du retour, et la visite de mon frère déprimé vivant dans une communauté religieuse l’ayant pris en charge. Trois évènements qui me satellisèrent pour quelques semaines dans un monde totalement merveilleux, où le sens retrouvé se mêlait à un bonheur qui m’éclatait le coeur.

En un mot, un monde d’hypersensibilité. Les parfums étaient plus intenses, les musiques plus pénétrantes, les saveurs multipliées, et les touchers plus soyeux.  Un monde d’amour où tout était relié.

Mais bien sûr cet amour était fictif, car sans objet, sans l’autre !  Un amour stérile, pédalant sérieusement dans la semoule !

Et pourtant, pendant cet épisode, je savais enfin pourquoi j’étais là sur terre,  cette félicité était aussi irréfutable que la beauté d’un coucher de soleil. J’étais devenu capable de communiquer, d’échanger, avec toute personne rencontrée. Bien sur, ce monde là s’évanouit dans une pièce nue de l’hôpital psychiatrique, sans doute au bon moment, c’est à dire à l’instant même où je ne disposais plus d’une seconde d’énergie, n’ayant guère eu le temps de dormir pendant plus de deux semaines.

  Les hommes en blanc étaient les bienvenus.

Et depuis, je vis sur ce que j’estime être paradoxalement « un trésor de guerre », loin du lithium que la société me proposait, sans doute par incompréhension. La culture scientifico-judéo-chrétienne m’avait imposé une vision paranoïaque de l’existence, vision réfutée maintenant par toutes ces expériences. Cette vision-là, je sais que je lui dois « la douceur » de vivre dans nos sociétés « avancées », à travers toutes les extraordinaires connaissances qu’elle a apportées à l’humanité : Descartes et Newton étaient des psychopathes, mais leur génie a été au fondement de la science bienfaisante. C’est elle qui nous fait sortir des univers de pénurie, et c’est elle qui a créé notre merveilleuse médecine. Mais en nous coupant gravement de notre univers émotionnel.

Cette vision a détruit l’univers naïf et rassurant de la chrétienté. Elle est désormais à bout de souffle : les hommes ont besoin de coopération, dans un monde devenu complexe de tant d’excès délétères.

Moins de compétition, moins de chiffres obscurs. Ils sont libres d’être inconscients de cette absolue nécessité.

Leur chance de survivre sera alors quasi nulle.

 Ma terre surpeuplée est saccagée, et elle n’en peut mais.