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De la chasse au mouflon à la chasse au gaspi

Philosophie

 

 

Un monde à l’envers : l’épicier est devenu banquier, un clin d’oeil au passé, quand le poivre revenu des colonies valait plus cher que l’or.

Ötzi est un homme du néolithique qui a été retrouvé momifié, rejeté par un glacier Alpin en 1991. Datée de 5000 ans, sa mort violente a suscité la plus formidable enquête scientifico-policière trans-millénaire.
Il a été radiographié, échographié, scanné, analysé, par tous les bouts. Toutes sortes d’experts ont été invités à dialoguer avec lui. Ce puzzle de sciences diverses nous a imagé la vie de ce chasseur cueilleur, comme jamais auparavant.

 

 


Ötzi Son bras a été replié par le mouvement des glaces.

Ötzi Son bras a été replié par le mouvement des glaces.

Il a décrypté ce corps d’homme, découvert toutes les épreuves endurées par son mode de vie. Tout son squelette porte en effet les traces d’une activité physique intense, et permanente, usante. Il était porteur de deux bactéries suspectes, l’Hélicobacter, agent de gastrite, et la Borrelia de la maladie de Lyme. Ses poumons étaient encrassés de suie, le foyer sans cheminée de l’époque enfumait les habitats et les habitants. Le contenu intestinal a été sondé jusqu’aux plus petits grains de pollen, jusqu’aux unicellulaires, des diatomées, et même jusqu’à des bactéries improbables. Il était infesté de parasites, des Trichines (prononcer trikine) qu’on a souvent retrouvées du reste chez de nombreuses momies égyptiennes. C’est dire combien sa robuste immunité était sollicitée !

 

 


La moisson au Moyen Age

La moisson au Moyen Age

Ötzi était céréalivore, puisque les  trois quarts de la ration étaient composés de farine de blé grossière cuite, on y a retrouvé des petits morceaux de graines charbonnées. Cette farine contenait de la poussière de silice, issue de l’abrasion des grains par des meules en pierre. Ses dents étaient d’ailleurs très usées, d’avoir mâché des dizaines d’années cet aliment craquant autant que crissant sous le dent. (Ce n’est qu’au XVIII ème siècle que nos farines ont été débarrassées de ces résidus de meule.) Et peut-être aussi d’avoir mâchonné des peaux,  méthode de tannage ancestrale. Mais sa denture était vierge de caries et de plaque dentaire, ce qui est remarquable, car il avait 46 ans,  un âge très respectable pour l’époque. Il consommait des fruits sauvages – pommes, prunes-.

 

Le couteau en pierre d’Ötzi

C’était aussi un carnivore, des restes de mouflon et de cerf l’attestent. Il était donc malin et adroit, ce dont on se doutait d’ailleurs. Car flécher un mouflon n’est pas à la portée de tous les bipèdes. Dans le genre farouche, ce mouton sauvage, on ne fait pas beaucoup mieux. Ajouter l’escarpement, un odorat très compétent, nos glorieux chasseurs de faisans d’élevage font un peu rigolos à côté. Il marchait d’ailleurs son arc à la main, de près de deux mètres, juste avant sa mort. Ses flèches, trouvées dans son carquois, étaient empennées à trois plumes. Il pouvait tirer avec précision jusqu’à 50 mètres avec cette arme remarquable.

Si Ötzi pénétrait dans une de nos cantines modernes, il ferait aussitôt une dépression, un accès mélancolique disait-on avant notre médecine moderne. D’observer l’énorme gaspillage de nourriture. Lui qui suait sang et eau pour se nourrir. Même dans un self, où l’on choisit ses plats, il est devenu la norme de ne pas rendre une assiette vide. Entre ces déchets, et ceux du cultivateur, qui jette le « non conforme » et l’invendable, les magasins avec les hors dates de péremption, des administrateurs de la FAO ont fait le calcul : plus d’ un milliard de tonnes de nourriture gaspillée, la moitié de la récolte mondiale de céréales, un tiers de la production agricole !

Ötzi, lui, sortait de l’âge de pierre, commençait à travailler le cuivre, comme en témoigne sa remarquable hache, conservée intacte : on a appelé cette ère le chalcolithique. A certaines périodes difficiles, chaque repas était pour lui comme un examen de passage.

 

Depuis que je vois à travers l’étrange lucarne des enfants avoir faim, je ne donne plus à la machine à laver qu’une assiette vide, voire léchée. L’inverse des « bonnes manières » prescrites par notre bourgeoisie décadente : « ne mangez pas jusqu’à la dernière miette, pour rendre votre assiette aussi propre qu’au début de repas »

Depuis que je vois ces femmes des pays pauvres transporter des heures quelques litres d’eau, je restreins le volume d’eau de mes douches, par résonance. Non pas que j’ai un oursin dans le porte monnaie, je me sais riche de l’abondance de nos pays. Non pas que je ne sois pas ni gourmand, ni gourmet, je suis né avec la recommandation soixanthuitarde, « jouissons sans entrave », affirmait-on ce printemps là.

Mais gaspiller, c’est ne pas aimer la vie, c’est fondamentalement ne pas la respecter. Ce comportement nouveau, à l’échelle de notre histoire, tout à fait étonnant par son ampleur, méconnait la vie de nos ancêtres qui ont tant donné pour que notre vie soit belle !

Mais les justes comportements ne sont hélas pas textuellement transmissibles !