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Le gluten : les mystères d’un céréale killer

Médecine

 
 
 
 
 
 
 

 
 
 
 
Ötzi, notre momie alpine, souffrait de nombreuses pathologies, mais n’était pas atteinte de la maladie coeliaque, déclenchée par l’ingestion, même minime de gluten.  Cette intolérance au gluten touche en gros un pour cent de la population européenne actuelle. C’est peu, mais étonnant dans la mesure où ce sont les céréales qui ont été longtemps à la base de notre alimentation. Ce sont elles qui ont permis la sédentarité des sociétés humaines dans nos pays. Ötzi, il y a cinq mille ans, était déjà céréalivore. De chasseur cueilleur, migrant, Homo est devenu agriculteur éleveur, et sédentaire. Ces céréales étaient stockées dans des silos pour survivre à l’hiver. Plus tard, dans les châteaux forts, ce qu’on a appelé parfois « des oubliettes » contenaient en fait les réserves des grains, et autres denrées, pour passer la mauvaise saison. Notre vieille Europe mérite sans conteste le nom de civilisation du blé. Du « Panem et circences », « du pain et des jeux », de la Rome antique, au XVIII ème siècle, la ration moyenne journalière n’a fait que baisser, mais nos arrière grand parents en mangeaient encore plus d’un kilo par jour. Les pommes de terre, autre végétal d’importance majeure, sont des aliments modernes, à l’échelle de notre histoire.
Battage des céréales à l’ancienne : les gerbes de blé sont piétinées par les chevaux. Les grains se séparent ainsi des tiges. Ici en Afrique du Nord, qui était le grenier à blé de la Méditerranée, au temps des Romains.

Ce qui est moins connu, c’est que cette prédisposition à souffrir,
et sévèrement, du gluten, a augmenté les cinquante dernières années.

Joseph A. Murray et son équipe ont analysé des échantillons de sang congelés prélevés sur des milliers de soldats américains entre 1948 et 1954 ; à la recherche de marqueurs de la maladie, les anti-corps anti transglutaminase tissulaire, et les anti-corps anti endomysium.
J A Murray n’a relevé d’anticorps que chez 0,2 % des recrues.
Les chercheurs ont ensuite comparé ces résultats à des échantillons récents d’hommes âgés de 20 à 30 ans, et de 70 à 80 ans. À chaque fois, les marqueurs biochimiques étaient présents chez 1 % des sujets. 

Cette augmentation de la maladie coeliaque n’a pas trouvé d’explication claire. Des facteurs la favorisant ont été identifiés, tels l’absence d’allaitement, l’introduction trop précoce de farines dans l’alimentation de bébé, et d’autres, de virus en passant par le traitement martial de la grossesse, mais rien de probant.  Peut-on parler d’une « maladie de civilisation »?, au même titre que les maladies inflammatoires de l’intestin, et de la diverticulose ?

Moulin à eau de belle taille, ses secrets de fabrication (mécanique des meules ) étaient bien gardés : pour y entrer, il fallait montrer patte blanche ! L'entrée était même défendue par des meurtrières.
Moulin à eau de belle taille, ses secrets de fabrication (mécanique des meules ) étaient bien gardés : pour y entrer, il fallait montrer patte blanche ! L’entrée était même défendue par des meurtrières.

Car notre alimentation a été bouleversée en cinquante ans, sans même parler de la « junk food »: le nombre d’aliments authentiquement « dénaturés » est impressionnant, et n’a de cesse d’augmenter, souvent à notre insu. Et c’est notre système digestif, estomac, intestin, et microbiote, qui est en première ligne, au front, pour aborder cette kyrielle de nouveaux « aliments » , élaborés au nom d’un progrès qui reste à définir dans ce domaine. 

Du point de vue du gout, et des arômes, c’est peu dire que notre assiette s’est affadie. Pensez au lait UHT bien pâlot, au pain industriel à la triste semelle, aux nombreux conservateurs et additifs multicolores, aux salades javellisées, aux fromages plâtreux d’une grande tristesse, à la volaille contaminée, aux pommes tellement rutilantes qu’on les dirait en plastoc, au saccharose idolâtré, etc.

 Une sophistication grandissante, pour nous, animaux fraîchement auto-élus maîtres de la nature, mais ayant quand même évolué quelques millions d’années, avec elle, dans un environnement bien plus rustique. Et ce n’est sans doute pas le seul gluten, molécule au demeurant peu digeste, qui est la cause initiale de ces troubles. Même si on peut s’interroger de l’impact sur notre digestion de ces « pains » caoutchouteux, blanchâtres, inodores gonflés à la va vite à partir de farines bien trop blanches.

Plus récemment a été décrit un autre syndrome, « la sensibilité au gluten », objectivé par une étude italienne il y a quelques années. Une équipe de médecins à Lecce ont montré des lésions inflammatoires chez 77 patients « allergiques » ne souffrant pas de maladie coeliaque, mais d’une entéropathie (intestin malade). Ils ont été quand même invités à suivre une régime sans gluten pendant six mois.
La cinquantaine qui l’ont suivi ont tous observé une amélioration clinique nette.

Puis récemment, ce nouveau syndrome vient d’être consolidé par des analyses biologiques. Les scientifiques ont étudié 160 personnes dont 40 étaient atteintes de la maladie coeliaque, 80 présentaient une « sensibilité au gluten », et 40 autres ne souffraient d’aucun trouble digestif. Ils ont observé les réactions de l’organisme après l’ingestion du gluten : les personnes définies comme intolérantes ressentait des douleurs abdominales, des diarrhées ou des ballonnements . Les effets étaient plus variés chez les personnes « sensibles » : en plus de troubles gastro-intestinaux, elles souffraient de fatigue incoercible, de problèmes cognitifs, voire de troubles de l’humeur.  

Les chercheurs ont trouvé diverses anomalies, dont la présence de marqueurs de dommages cellulaires (FABP2),  chez les personnes « sensibles au gluten »: leur barrière intestinale semble plus « perméable » que celle des personnes normales. Elles laissent passer les macromolécules qui initient une réponse inflammatoire générale. Après régime restrictif, ces marqueurs disparaissent, ainsi que les signes cliniques. Quant au nombre de personnes atteintes, il est difficile à appréhender. Certains parlent de 1 à 5% de la population, plus ou moins sévèrement atteinte.

Les coquelicots ont disparu dans les régions de grande culture.
Les coquelicots ont disparu dans les régions de grande culture.

En une, voire deux générations, nous sommes passés d’un monde de pénurie, carentiel éventuellement, à un nouveau monde de pléthore avec cette profusion de molécules nouvelles, une absence de fibres.

Mais de là à passer à un troisième monde de régimes restrictifs, sans gluten, sans lactose, végétalien, vegan and co, il y a là une démarche globalement mystérieuse. Aux Etats-Unis, le succès de ces nouveaux comportements alimentaires est énorme, mais on peut émettre des doutes sur leur perspicacité. Un quart de la population américaine consomme « sans gluten ».

En revanche, redonner une dimension artisanale à toute la filière alimentaire aurait sans doute un impact immédiat sur notre bien-être. Certains industriels réussissent d’ailleurs à respecter nos attentes. Mais comme dirait Astérix, avec des si, on mettrait Lutèce en amphore !

Récemment l’INRAE a produit quelques intéressantes études :

Les gliadines et les gluténines sont les protéines qui constituent le gluten du pain . En laboratoire, elles peuvent être extraites du pain et des pâtes grâce à deux types de solvants : le SDS, un détergent qui utilisé seul, permet d’extraire les protéines les plus aisément solubles, et le DTE. L’hypothèse initiale des chercheurs était que les protéines extraites avec l’aide du seul SDS seraient plus digestes que celles nécessitant l’utilisation du DTE, voire que celles non extractibles avec les 2 solvants. Des extractions ont été réalisées sur les pains à l’aide des deux solvants.

A taux comparables, les protéines facilement extractibles par le SDS seul sont deux fois plus nombreuses dans le pain « paysan/artisanal » que dans le pain « industriel ». Cette différence parait majoritairement liée au procédé de transformation et dans une moindre mesure aux variétés de blé utilisées. L’intérêt de semer « des variétés anciennes » est plus un intérêt agronomique -grande variabilité génétique-, qu’un intérêt boulanger.

Parmi les facteurs étudiés, le ferment a un impact majeur et hautement significatif : les pains au levain ont environ deux fois plus de protéines aisément extractibles par le SDS comparés aux pains à la levure. Et ce taux est variable selon les levains. Parmi les autres facteurs permettant d’obtenir des pains dont les protéines sont plus facilement extractibles, on note le pétrissage mécanique, la fermentation réalisée à froid et à pousse lente, la cuisson au four à bois.

Il est piquant d’observer des bourgeois acheter des pains au levain, « bio », de meilleur qualité que les indus, à des « Punks » ou « Babas Cools » portés par la certitude de leurs sensations et par leur courage.