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La vie, un fascinant continuum

Philosophie

Il y a deux milliards d’années, la vie n’était qu’aquatique. Du petit, tout petit, virus, bactéries, algues bleues. Peu de chose sur terre.

 

 


Street Art Bruxelles

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Elle est devenue amphibie, il y a 400 millions d’années, pensez aux grenouilles. Mi figue, mi raisin. Mi terre, mi eau.

Puis elle s’est faite terrestre, reptilienne, 100 millions d’années plus tard.  Le début de la fameuse ère des dinosaures.

 Les mammifères sont nés peu après, et se sont épanouis après un formidable choc météoritique, qui a secoué la planète comme un vulgaire prunier. On a retrouvé sa trace partout sur les continents, sous la forme d’une mince couche de sédiments très riches en Iridium, métal rarement retrouvé sur terre. C’est au Mexique que la météorite a creusé le cratère de Chicxulub, que les spécialistes ont sondé. Ce choc a sans doute été à l’origine d’une énorme activité volcanique dans le Dekkan, en Inde, par « contrecoup ». L’atmosphère en a été obscurcie pendant une longue période, les spécialistes parlent d’un hiver d’impact, semblable à l’hiver nucléaire qui succèderait à une explosion atomique de grande ampleur. Le plancton de cette époque succomba, ainsi que de nombreux végétaux. 70 % des espèces animales disparurent, à commencer par les grands gabarits.

A l’exception des crocodiliens, aucun animal de plus de 25 kg ne survécut. L’arbre de l’évolution en a été tout chamboulé, bien sûr, et le porteur de mamelles a été promu, retrouvé sur les branches les plus hautes, sauf en Australie, où les marsupiaux firent souche. Le koala femelle n’a pas de poitrine.

 Curieusement, les premiers pas aquatiques -fort longs- ont marqué à jamais tous les animaux vertébrés terrestres,  y compris les mammifères les plus récents dans l’évolution,  et donc nous aussi. Nous avons tous inscrit en nous ce lointain passé poisson. Petits embryons, dans le ventre maternel, nous possédons des fentes branchiales, des projets de branchies en quelque sorte. Ils s’estompent rapidement au cours de notre croissance. Il suffit de ranger les différents stades embryonnaires des différentes classes animales pour visualiser cette troublante  proximité.

 

 


Haeckel, un médecin, libre penseur allemand du XIX ième siècle range les différents stades embryonnaires des grands embranchements. Embryons classés, par ordre d'apparition sur notre planète : poisson, grenouille,tortue,oiseau,vache,singe, homme. C'…

Haeckel, un médecin, libre penseur allemand du XIX ième siècle range les différents stades embryonnaires des grands embranchements. Embryons classés, par ordre d’apparition sur notre planète : poisson, grenouille,tortue,oiseau,vache,singe, homme. C’est lui qui a créé le mot oecologie       (oïkos, demeure, en grec)

 Les naturalistes qui l’ont mise en évidence au XIX  ième siècle ont résumé cette découverte en une jolie phrase :                                                                                                                 » l’histoire du développement individuel récapitule  l’histoire de la formation des espèces  » en termes savants,

 » l’ontogenèse résume la phylogenèse « 

  Précisons,  en parlant de ce qu’on appelait l’hominisation à cette époque:

  » le long murissement de l’âme humaine commence par retracer le chemin de l’évolution biologique, puis historique de l’espèce humaine « .

 C’est un peu au même moment que des médecins mirent en évidence notre dépendance à l’Iode, élément minéral rare, par nature marin.

 Encore une trace de notre lointain passé maritime !

Curieusement la nature l’a choisi comme pièce maitresse des hormones de la métamorphose, les hormones thyroïdiennes. Dans les régions éloignées des océans et des mers, bien des peuples ont souffert, peu ou prou, du manque d’iode. Il nous en faut pourtant des quantités bien faibles ! Une cuillère à café  pour notre vie entière. Mais nous ne la stockons pas. Les troubles de la synthèse des hormones se remarquent par la présence d’un goître, discret ou pas, voire d’une lenteur qui s’installe dans tous les domaines de la vie, de la simple digestion à l’activité physique, en passant la réactivité psychologique.

Depuis fort longtemps en Chine, des médecins traitaient les goîtres par des algues, les laminaires.

Extraordinaire médecine empirique !

Dans d’autres pays, on utilisait des éponges brûlées.

Pas mal non plus ! Mais ce n’est qu’au début du XIX ième siècle qu’un pharmacien, Bernard Courtois découvre les jolies vapeurs violettes de l’Iode. Il était salpêtrier, c’est à dire fabricant de « sel de pierre », très demandé pendant ces périodes troublées pour la fabrique de poudre à canon.  La France était alors très isolée, les importations arrêtées.  Racler le salpêtre sur les murs des vieilles caves, c’était faire vivre la république. Mais ce ramassage, organisé par les pharmaciens, était insuffisant. Pour en produire, des composts étaient mis en présence de cendres, c’est à dire de potasse, pour fabriquer le nitrate de potassium.                                                                             

Pour améliorer sa production, Bernard Courtois avait décidé d’utiliser des algues qu’il brûlait plutôt que les cendres de bois.Et c’est en nettoyant ses bacs à l’acide sulfurique qu’il vit apparaître ces étranges fumées violettes.

En chimiste avisé, il perçut tout de suite l’importance de cette découverte, dont il fit don sous forme de cristaux à Louis Joseph Gay-Lussac, qui les baptisa.

Iode, violet, en grec.

 

En 1864, on compte en France 500 000 goîtreux. Parmi ces personnes, des atteintes sévères du développement psycho-affectif, une apathie terrible pour les plus atteints. Suivant la terminologie un brin méprisante de l’époque, on estime le nombre de « crétins et de crétineux » à 120 000, chiffre probablement exagéré. Le « crétineux » était considéré comme un « demi-crétin ».  Au début du XX ième siècle, on se met à ioder le sel de cuisine, la consommation de poissons augmente partout, l’alimentation commence à se diversifier dans toutes les campagnes, même les plus reculées.

Mais en 1982, une enquête menée à Grenoble en milieu scolaire, révèle que sur 2600 enfants, 13 % ont une thyroïde palpable, et 3 % un goitre. Et en Suisse récemment on réfléchit à d’autres manières d’ioder l’alimentation. Probablement de nombreuses femmes enceintes sont sub-carencées en iode dans nos pays. Dans les Alpes, le goître était une importante cause d’exemption de service militaire ces siècles passés. Certains jeunes hommes s’efforçaient d’en favoriser la croissance pour échapper à l’armée, en buvant l’eau « crue » des glaciers ! Qui était à l’époque considérée comme « goîtrigène ».

 

 Le mot crétin dérive du mot chrétien.

Le médecin Bailenger rapporte de ses personnes atteintes qu’elles étaient « chrétiennes par excellence, car incapables de commettre un péché ».

Dans les familles, les simples d’esprits étaient souvent considérés comme « des anges tutélaires », des protecteurs « sacrés », car fondamentalement innocents, non atteints de l’humaine culpabilité. Tous les « crétins » étaient goîtreux, mais bien sur, seules les carences de grossesse sévères provoquaient des ravages irréversibles. Ce qu’on appelle de manière plus empathique : « la lenteur d’idéation ».

Rencontre de deux amoureux

Tout comme l’iode, les vitamines, par définition, nous font ressentir aussi cette continuité entre tous les êtres vivants, et même leur environnement physique. Elles sont en effet tout à fait indispensables à la vie, en petites quantités. La Vitamine D nous manque facilement en hiver, quand nous vivons enfermés, sans soleil.  Et la Vitamine C manquait très vite aux marins ne consommant pas de produits frais dans les voyages au long cours. C’est l’explorateur anglais James Cook, qui le premier, le démontre formellement, et évite l’horreur du scorbut à ses équipages.

En Amérique du Nord, des tribus indiennes sauvent les colons du ravage du scorbut, en leur proposant des infusions d’aiguilles de conifères.

 

On vient de découvrir un autre continuum tout à fait surprenant.

Depuis quelques années de nombreuses équipes de biologistes étudient le contenu de nos intestins, d’un point de vue bactériologique.

1 kilogramme de bactéries travaillent pour nous, sans relâche, nuit et jour.Cette flore s’avère primordiale pour de nombreux aspects de notre complexe physiologie. Stérile à la naissance, notre tube digestif se colonise peu à peu des bactéries proches d’origine maternelle, paternelle, alimentaire, animale, végétale, tellurique.

S’établit ainsi ce qu’on appelle le microbiote, un organe essentiel à la bonne digestion, ainsi qu’à notre immunité et bien d’autres fonctions. Notre propre santé peut être atteinte, quand la biodiversité est atteinte. Ce mot qu’on entend si souvent, mais qui reste si abstrait, si loin de nous, nomme en fait un des plus importants aspects du cataclysme écologique actuel.

  Elle touche à l’intégrité de l’humanité entière, et personne ne peut y échapper.

Le microbiote de « l’américain urbain » est  pauvre.

  Mr Yatsunenko vient de le montrer en analysant 531 selles de trois groupes différents : des amérindiens du Vénézuéla, des ruraux du Malawi, en Afrique, et des américains des villes. C’est un travail colossal qui a été fait, puisque des centaines d’espèces bactériennes colonisent nos intestins. Le résultat est sans appel : le nombre d’espèces différentes, est bien moins important dans les intestins urbains américains. Quant à connaître celles qui manquent au rendez vous, ou celles qui sont sur représentées, il est trop tôt pour en décider. L’écologie de cette population bactérienne est infiniment complexe. Il parait plus simple d’agir sur nos comportements.

 Car en prônant le « stérilisé », le « chloré », voire l’artificiel, « the american way of life » standard appauvrit considérablement le monde microbien qui nous accompagne depuis l’origine. Cette conception de la chaine alimentaire anéantit la biodiversité microbienne de leurs intérieurs, après avoir saccagé la biodiversité de leurs campagnes.

Le gigantisme agricole encouragé a induit en effet des effets sanitaires à leur échelle, redoutables, par leur ampleur. A tel point que le désir de « safe food » est la première de leurs préoccupations !

Vache bleue et propre.
Vache bleue et propre.

Dans les élevages industriels, sales, par nature, les viandes produites sont lourdement contaminées, par de nombreuses bactéries dont certaines sont féroces. Tout élevage obéit à cette règle universelle : les problèmes sanitaires sont exactement proportionnels à la densité en animaux, c’est à dire à la promiscuité.

D’où l’usage intensif d’antibiotiques dans ces élevages, qui se retrouvent ensuite dans notre alimentation.

 D’où la nécessité qui s’impose à eux, en post production, de stériliser, à tour de bras.

 Le prix à payer est fort lourd, en terme de santé physique et mentale.  Le microbiote dévasté est un important facteur dans les pathologies suivantes : diabète, maladies inflammatoires de l’intestin,allergie, troubles neuro-psychiques, et cette liste s’allonge chaque jour.

 La richesse de notre  microbiote  s’appréhende bien à l’image de nos paysages !

Ainsi, si l’iode nous rend la mer nécessaire, si la vitamine D nous manque quand nous sommes privés des rayons solaires bienfaisants, si la vitamine C nous rappelle notre sujétion au monde végétal, les bactéries qui nous habitent méritent aussi toute notre attention, et notre considération : elles qui viennent de notre environnement immédiat, elles nous invitent à une réflexion urgente sur notre place dans la nature.

La vie est bien un incroyable continuum !