Tout est beau dans le cochon
Le cochon traîne une mauvaise réputation dans notre culture. Il est réputé être sale, fourbe, vorace et lubrique. Un bon nombre d'expressions fleuries l'image. Si on n'entend plus le curieux "copains comme cochons", la Normandie garde encore son "cochon qui s'en dédit", et sa prétendue frénésie sexuelle, comme sa saleté supposée, nous accompagnent encore. On ne donne toujours pas de la confiture à des cochons, mais on ne dit plus "on n'a pas gardé les cochons ensemble", pour demander un peu de distance dans le contact social. On parle encore bien souvent de cochonneries, alors que le monde moderne ne connait plus cet animal, puisqu'il vit le plus souvent cloitré maintenant dans de grands hangars, où il est interdit de visite.
Surpopulation porcine carcérale
Cette réputation vient de loin, de la fin du moyen âge, quand il a en quelque sorte succédé au chien dans le genre bestiaire injurieux. Cet animal jouissait alors d'une grande liberté de mouvement. Même si le plus souvent il était l'hôte des chênaies, gardé par le porcher responsable du troupeau communal, on le voyait souvent en ville. Il était considéré comme un détritivore, à une époque où la propreté n'existait pas, ou peu, où l'ordure ménagère se mélangeait à l'excrémentiel en pleine rue. Animal fouisseur par excellence, à l'aide de son curieux groin, les cimetières devaient impérativement être gardés de murs.
Respirer un peu d'air pur avec son groin
D'où des accidents réguliers, et surtout des attaques de jeunes enfants. En cas de mort, ces animaux étaient jugés. Les procès d'animaux fréquents. Les comptes- rendus, soigneusement archivés, témoignent de l'application de la loi du talion. Les pourceaux étaient souvent pendus, quand ils étaient convaincus de meurtre. Mais toute sorte d'autres animaux pouvaient être ainsi jugés, pour toute sorte de délit, et l'excommunication n'était pas une peine rare.
Les cochons ne sont pas spécialement lubriques, mais c'est vrai qu'ils sont prolifiques. D'où leur place dans le top cinq des mammifères invasifs, après, dans l'ordre, le rat, le chat, le chien et la souris.
Plus près de nous, en 1794, un perroquet et ses maître furent jugés par le tribunal révolutionnaire de Béthune. L'animal répétant à longueur de jour « Vive le roi », la famille fut suspectée d'être antirévolutionnaire. Ils furent guillotinés, mais l'animal sauva sa vie, son statut moral commençant à changer. On le confia à une citoyenne chargée de lui faire changer de registre. On devait pouvoir lui faire apprendre "Vive la nation".
Le cochon peut être velu dans certains pays.
A cette époque, notre porc était souvent infesté de parasites, du ténia solitaire en particulier. La viande devait être inspectée, surtout la langue, et tous les amateurs savaient que le porc devait être bien cuit. Au XX ème siècle, le ténia du porc a disparu dans nos pays, mais d'autres maladies sont apparues, la plupart d'origine virale. Elles n'ont aucune incidence sur les consommateurs, exceptée l'Hépatite E. Une bactérie gênante est aussi la Yersinia, qui peut être bien présente dans certains élevages. Sa résistance au froid en fait un agent d'intoxication alimentaire fréquent, après le Campylobacter et la Salmonelle.
Pas facile de fouir sur ces caillebotis en plastique.
En 2013, 3 cas d'hépatite E ont été signalés sur l' île du Ponant. Lors d'un mariage, un porcelet grillé à la broche et farci avait été consommé. La farce était en partie constituée du foie de l'animal. Les souches humaines virales ont été comparées avec celles détectées dans le lisier de la ferme où était né le porcelet, et dans les eaux usées prélevées à l'entrée des stations d'épuration de l'île. Dix-sept cas ont été identifiés : sept cas sur dix étaient asymptomatiques. L'infection aiguë par ce virus était associée à la consommation de farce, farce à base de foie de porc insuffisamment cuite. Donc, tout est bon dans le cochon, sauf le foie mal cuit, car la prévalence de l'hépatite E peut être très élevée dans certains élevages. Les préparations à base de porc doivent être donc cuites à coeur, tout comme la volaille.
Une truie qui rêve de changer de nom Artiste Fabienne Houzé Ricard
C'est l'occasion de poser un regard plus distant sur le cochon. Car cet animal qui nous accompagne depuis fort longtemps ne mérite pas du tout la mythologie créée autour de lui. En fait, c'est un animal plutôt malin, et s'il aime les bains de boue comme certains d'entre nous, la thalasso, il fuit naturellement ses excréments. Si vous lui offrez deux cases, vous serez peut être surpris d'en voir une jamais souillée ni d'urine, ni de selles. Tout ceci est connu des anciens éleveurs de porcs. Mais depuis cinquante ans, sa vie a changé, il doit vivre maintenant à touche-touche avec ses pairs, en contact permanent avec la merde, dans une odeur affreuse, puisque la paille, absorbante, a malheureusement disparu des pratiques des éleveurs.

Un marché ancien : les gorets sont propres.
Les énormes porcheries industrielles sont des aberrations nées d'un système économique dérégulé. Le coût environnemental est énorme, la qualité organoleptique de la charcuterie tout à fait modeste, et le bien être animal n'est absolument pas respecté, à commencer par la saleté imposée aux animaux par ces pratiques. Et si le fumier composté est un trésor pour nos sols, il en est tout autrement des lisiers. Heureusement dans certaines filières, le bon sens revient un peu, et on voit de nouveau des porcheries de taille raisonnable, où la paille est de retour.
Le blanc ou le noir ?