Rouges jardinspar Guy Grandjean
search icon
Retour

Ma p’tite crotte de rat

Humeur

 

 

Je me demande parfois si je ne suis pas un chercheur de crotte, comme d’autres sont chercheurs d’or. Est-ce une déformation professionnelle ? Dans un laboratoire de bactériologie, nous recherchons la petite bête méchante bien souvent dans des excreta. Puisque le prélèvement le plus fréquent est l’urine. Et on joue au « fouille kk », on touille des expectorations peu appétissantes. Remarquez que ça me réussit mieux que certains chercheurs d’or : ceux qui en trouvent peuvent mal tourner. Regardez nos modernes bling blings, et comparez leurs biens avec la beauté des orfèvreries égyptienne ou inca. Ces civilisations appréciaient le côté solaire de ce métal : les objets de culte et de pouvoir étaient recouverts de la sueur sacrée du soleil . Elles vivaient la beauté du monde, en la rehaussant. Notre civilisation n’a réussi qu’à en faire un veau.

 

Il nous reste : admirer le veau d’or. Dans l’imagerie populaire, ce jeune animal est plutôt mal considéré. (ex cette nouvelle voiture est un vrai veau)
 

Bon assumons, je suis donc un chercheur de crotte, et aujourd’hui, j’en ai trouvé une belle.

Vous êtes dans l’export import, côté alimentaire, vous travaillez avec de nombreux pays. Ce jour là vous recevez une centaine de tonnes de piments d’Inde par containers. Mauvaise surprise, ils sont avariés :  80 000 € de pertes si vous refusez la commande. Visiblement mal stockés, ils ont été visités par des rongeurs. Des crottes de rats, des poils, et même des rats morts, c’est désagréable. Ces cadavres, c’est facile à ôter, les poils aussi, il suffit de ventiler et de tamiser les piments, ce qui permet d’enlever une grande partie des poils et des déchets.

Mais il reste les crottes, dont la densité est proche de celle des piments. Difficile. Une crotte contient potentiellement des agents pathogènes. Mais, et c’est là l’astuce, en considérant la loi sensu stricto, il suffit de considérer les crottes comme une « matière étrangère », si on stérilise ces piments. Car le cahier des charges de la société qui commercialise le piment autorise 0,5% de matières étrangères. Il peut se trouver dans une récolte de piments quelques brisures de végétaux, des poussières, des graines, des petits insectes. Il suffit donc de chauffer les piments pour les stériliser, puis de les broyer au dixième de millimètre,  ni vu ni connu, et le tour est joué. Cette poudre est ensuite diluée dans des stocks de piments corrects, à hauteur de 25 %, vous êtes réglementaire, dans les clous. 100 tonnes diluées : faites le calcul pour compter le nombre de petits pots vendus !

Le méli-mélo de queues du roi des rats du Museum d'histoire naturelle de Nantes
Le méli-mélo de queues du roi des rats du Museum d’histoire naturelle de Nantes

C’est une histoire ancienne, plus personne ne pourrait « faire un coup pareil ». Les contrôles de qualité et les analyses évoluant sans cesse, ce genre de tricherie n’est plus imaginable. Mais je reste songeur quand j’entends chanter les louanges de la dérégulation, de la déréglementation, dans tous les domaines. Ce sont les lois,  les règlements et la police qui ont accompagné notre humanisation, pour ne pas dire notre hominisation. Les plus anciens écrits sont toujours des règles administratives. Supprimez ces lois, les règles de savoir faire, et vous serez surpris du retour à des comportements proprement « bestiaux ». Car il faut être bestial pour vouloir faire consommer à d’autres des crottes de rats, fussent elles cuites et recuites !

Avant l'usage des raticides, la lutte contre les rongeurs n'était pas simple, et les silos conçus pour les décourager. Ici quatre pierres plates entre les pieds et le plancher pour empêcher leur intrusion. Le rat brun est appelé Rattus norvegicus ca…
Avant l’usage des raticides, la lutte contre les rongeurs n’était pas simple, et les silos conçus pour les décourager. Ici quatre pierres plates entre les pieds et le plancher pour empêcher leur intrusion. Le rat brun est appelé Rattus norvegicus car il infestait tous les bateaux venant du Nord. En réalité, il a colonisé le monde entier, succédant au rat noir,  par ses aptitudes à se débrouiller de notre présence.

Le rat est porteur sain de quelques virus et bactéries qui peuvent nous en vouloir. Ces rongeurs, avec les souris, ne peuvent être tolérées dans nos habitats, et dans toute la filière alimentaire. On pense « peste », mais en fait, la plus importante des maladies transmises par le rat est la leptospirose. Personne ne la connait, car elle est plutôt rare en France.

La leptospire est une bactérie très mobile.
La leptospire est une bactérie très mobile.

C’est pourtant l’une des plus ennuyeuses des anthropozoonoses au niveau mondial. En Europe, cette maladie peut toucher des professionnels exposés. Les égoutiers, les riziculteurs, et toute personne travaillant dans les eaux douces peuvent être contaminées, surtout en été quand la chaleur s’installe. Cette maladie, mal diagnostiquée, est fréquente dans les pays en voie de développement, quand les populations de rongeurs sont mal maitrisées. Un vaccin existe, pas très facile, une injection tous les deux ans, mais il protège parfaitement contre les formes graves. Il est conseillé pour les professions à risque. Curieusement cette maladie rare est plutôt en augmentation en Europe. Réchauffement climatique ? Augmentation des sports en eau douce ? Augmentation de la population de ragondins ? On ne sait pas . En France les populations de rat sont bien contrôlées, on estime grosso modo à quelques millions le nombre de rats parisiens.

En mangeant ces épices stérilisés, le risque est nul d’en tomber malade. Mais pourquoi acheter des épices en poudre ? Les broyer extemporanément permet éventuellement de jeter un oeil au passage sur leur aspect, et surtout exhale leurs saveurs.