Rouges jardinspar Guy Grandjean
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Le bucher des salamandres

Philosophie

En quelques siècles, la pensée superstitieuse s’est éteinte sur le continent européen. Combattue d’abord par les religieux, c’est ensuite « l’esprit scientifique » qui a pris le relais de la chasse à la crédulité. A la fin du XIX ième siècle, un biologiste de haut niveau veut s’attaquer au mythe ancestral de la salamandre.

Cet animal peu connu s’apparente à la grenouille. Il est nocturne, discret, on ne l’aperçoit le jour qu’enfoui sous des feuilles, dans un endroit frais et humide. Noir comme la nuit, ses taches jaunes le rend incohérent à la vue des prédateurs.

Les pattes peuvent être bien visibles : elle s’en moque, elle peut les régénérer si ellles sont croquées par un prédateur.

C’est vrai qu’on est surpris par la fraîcheur humide de son corps quand on la saisit. Ces animaux très anciens ne connaissent pas encore les 37 °C, la température intangible des animaux terrestres à sang chaud. Ces derniers apparaissent bien plus tard dans l’évolution. Leur métabolisme, leur activité donc, dépend étroitement des conditions météos. On ne peut guère les observer à moins de 10°C, le froid les engourdit.

Dans notre histoire animalière, la salamandre apparait dans de nombreuses armoiries, y compris royales. Sa réputation sulfureuse vient de la nuit des temps : Pline l’Ancien  déclare que :

 « la salamandre est si froide qu’elle éteint le feu lorsqu’elle le touche »

Ce surprenant animal était donc censé résister au feu ! Ainsi apparait-elle en tête dans le bestiaire royal de François premier.

 « Je me nourris du bon feu, et éteins le mauvais »

Notre scientifique de haut vol lui, veut mettre à bas, d’un grand coup, ces croyances has been, participer à l’extinction, trop lente à ses yeux, de l’univers de la superstition. Faire de la science, n’est ce pas ? Et de la grande !

Vérifier par l’expérience, c’en est le fondement. Expérience simplissime, une procédure d’une seule ligne. « Jeter une poignée de salamandres dans un feu vif ». Et voici notre homme de haute science passer à l’acte, et décrire benoitement le lamentable état des pauvres bêtes calcinées. Le cahier de paillasse témoigne.

Le même homme, la même personne, s’offusque en apprenant qu’en Lorraine,  à cette  époque, on grille encore du matou vivant  sur la place publique . Un bucher, un poteau, un chat encagé.

Sur la place publique sont brûlés vivants des chats

Car, dans notre histoire , le chat lui non plus, n’a jamais eu totalement bonne presse, surtout le chat… noir. Pourtant, il était d’une formidable utilité en pourchassant les rongeurs dans les fermes où était stocké le grain ; le grain, c’était la vie, rien n’était plus précieux pendant l’hiver de nos pays « tempérés ». Sans lui, la colonisation de ces contrées de haute latitude, il y a quelque 10 000 ans, aurait été tout simplement impossible : le rongeur granivore est lui omniprésent, et prolifique. Mais que survienne quelque maléfice, les chats étaient grillés vivants, au bucher, installé sur la place du village. Espèce d’exorcisme, qui échappe à notre mental d’aujourd’hui. Ces exécutions, comme celles des hommes, étaient appréciées à leur juste pertinence par ce qu’on appelait alors la populace. Quant à notre scientifique, peut être n’avait-t-il pas saisi ce qu’avait annoncé un médecin célèbre, François Rabelais, il y a déjà bien longtemps :

                « science sans conscience n’est que ruine de l’âme »

P1020241.jpg Salamandre Guy Grandjean