Vénus un jour, mercure toujours
La syphilis est classée dans les infections sexuellement transmissibles, IST, après avoir été une MST, une maladie sexuellement transmissible. Avant les MST, on parlait de péril vénérien. Ce mot sonne mal à nos oreilles, il vient pourtant de la Déesse de la beauté et de l’amour, Vénus, contrainte à l’adultère par Zeus. La notion morale à ce moment, de tromperie, est incluse dans la dénomination même de la maladie.
Longtemps le langage populaire a nommé ainsi la vérole « la grosse », que l’on opposait à la petite, la terrible variole. Cette évolution de la langue, sémantique comme on dit, est remarquable, dans le sens où elle atteste, pour un même « objet » d’une signification fluctuante suivant les époques.
Les premières épidémies de syphilis sont fort anciennes en Europe ; les plus importantes auraient été propagées par les soldats revenant des expéditions de découverte du nouveau monde. Cette version est d’ailleurs controversée, des crânes européens antérieurs à cette époque, portant les traces de la maladie, ont été découverts dans plusieurs pays. En particulier dans un monastère dominicain anglais où 60 % des crânes étaient touchés. La vérité historique semble pourtant nous échapper, l’os ne parle pas assez, ou mal, pour l’instant. Plusieurs bactéries voisines peuvent en effet prétendre signer de la même manière la symptomatologie osseuse.
Clairement au XV ième siècle, le tréponème pâle ( son agent, le nom du microbe ) n’était pas tout fait le même que celui que nous côtoyions aujourd’hui. Il était même beaucoup plus féroce. Il vous tuait un gaillard pétant la forme en quelques mois.
Notre tréponème actuel, s’il commence toujours par vous dessiner un joli chancre, souvent caché chez les femmes, s’installe ensuite tranquillement, un peu partout dans le corps, et pour des dizaines d’années. C’est une maladie chronique, d’ailleurs souvent confondue avec la gonococcie jusqu’au XIX ième siècle.
Après le chancre, c’est l’éclosion « des fleurs du péché » ( pêcher!) qui vont vous consteller la peau. Plus tard, il peut vous faire de la gomme un peu partout, c’est à dire des lésions de nécrose, de mort cellulaire.
Les fleurs du pécher (sur la peau des malades)
C’est supportable longtemps, avant que vous ne sombriez dans une folie abominable quand vers la fin, le cerveau se met à nourrir le tréponème. Il peut aussi au passage vous avoir défiguré de manière telle que vous verrez Quasimodo d’un oeil neuf.
Le mercure a été longtemps utilisé, mais il est probable, vue sa redoutable toxicité, qu’il tuait au moins autant qu’il guérissait. L’arsenic lui a succédé. Domestiqué sous forme de Salvarsan, puis de Neosalvarsan, ce fut sans doute un des premiers agents de chimiothérapie anti infectieuse relativement efficace. Mais évidemment il est tombé fissa dans l’oubli quand est née la pénicilline, avec sa prodigieuse efficacité et son incroyable innocuité.
Avant son arrivée, en 1929, on évaluait très officiellement le nombre des syphilitiques à 8 millions en France. Ce chiffre n’a pas résisté longtemps à l’analyse des historiens. C’était un début de mise en statistiques de la « santé publique » mais visiblement, le recueil des données était archi faux, le nombre très exagéré.
Le syphilitique, c’était un peu le dégénéré, le débauché mis au pilori par la religion omni régnante de l’époque. C’était volontiers aussi un mot craché par les groupes d’extrême droite antisémites et racistes. Ces accusations de concupiscence, de luxure ont ainsi accompagné les malades pendant quelques siècles. Reste qu’entre 1920 et 1930 la syphilis progressait, inexorablement.
Vers les années 2000, on ne répertoriait plus que quelques dizaines de cas en France, à tel point qu’on l’a retirée de la liste des maladies à déclaration obligatoire. En ce moment, on dénombre quelques centaines de cas : c’est un regain, surprenant, accompagnant aussi le retour encore plus bruyant du gonocoque, chanté par G Brassens, mais ayant sombré vers les années 1990 au fond des capotes avec l’épidémie du SIDA.
Il y a quelques années le tréponème pâle a fait l’actualité américaine. De 1932 à 1972, des « médecins » américains laissèrent 400 personnes syphilitiques sans traitement « pour étudier l’évolution de la maladie ». Bien entendu ces 400 personnes étaient mélanodermes, noires de peau.
En 1997, le président Clinton a présenté ses excuses à ces familles martyrisées par cet infâme microbe et ces « médecins » « sans conscience ».