Rouges jardinspar Guy Grandjean
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Changez de poussière

Médecine

Vapeur de Juin

Dans les années 1980, les médecins suspectaient notre mode de vie, « trop aseptisée », d’être à l’origine de l’augmentation continue de la population allergique. Ils ont réalisé depuis que les enfants de nos campagnes connaissaient beaucoup moins cette maladie. Les contacts avec les animaux, le jardin, « la nature », semblent les en protéger. Dans un univers moins « nickel chrome »,  c’est le monde microbiologique « rural » qui fait le lien physique entre l’enfant et son environnement, en orientant l’ensemble de son immunité. De nombreuses études en cours tentent d’en préciser les mécanismes. Le microbe ami, à côté du microbe honni, entre en scène au début du troisième millénaire.


Colonies bactériennes sur gélose

Colonies bactériennes sur gélose

Deux communautés religieuses des Etats-Unis ont accepté d’être investiguées  sur la  prévalence de la maladie allergique. Ces deux populations  partagent de nombreuses caractéristiques de style de vie communes. Très loin de l »american way of life » ! Les agriculteurs Amish de l’Indiana, et les Huttérites du Dakota du Sud, vivent en sociétés comme fossilisées. Toutes deux sont nées en Europe de la Réforme protestante, pratiquent un ancien dialecte allemand, et ont émigré aux États-Unis au XIX e siècle. Depuis elles sont restés isolées, ne pratiquent pas de mariage mixte, et sont censées respecter un code religieux strict. Des études génétiques ont montré leur remarquable parenté, et permis de minimiser ainsi la composante génétique de l’état allergique, ce qu’on appelle l’atopie.


Les brebis de Dieu

Les brebis de Dieu

Pour des scientifiques, cette comparaison est un vrai régal. Leurs modes de vie sont extrêmement similaires pour les facteurs classiquement retenus comme pouvant éventuellement influencer le risque de développer de l’asthme : nombre de frères et sœurs, régime alimentaire, durée de l’allaitement, pratiques médicales, vaccinations, modes éducatifs, présence d’animaux domestiques. Elles acceptent toutes deux les avancées de notre médecine moderne.


Moisson avec traction animale

Moisson avec traction animale

Mais leurs pratiques agricoles sont très différentes. Les Amish sont des paysans traditionnels, vivent dans des fermes familiales, et utilisent des animaux de ferme pour le transport et le travail. Dans les champs, pas de tracteurs, mais des chevaux. Les enfants participent activement à cette vie rurale, dès leur plus jeune âge. Leurs produits, plus attrayants que les tristesses issues de l’agro business, remportent d’ailleurs un grand succès dans les filières d’alimentation dites fermières.


L'enfant au troupeau

L’enfant au troupeau

En revanche, les Huttérites ont de grandes exploitations mécanisées, les élevages sont de type industriel. Les enfants ont peu de contact avec les animaux de la ferme. Comme dans tous les élevages géants intensifs, le cheptel est considéré comme « de la viande sur pattes », toujours possiblement contaminables ou contaminés, bref, pas fréquentables, pas carressables.


La main tendue

La main tendue

Sur trente enfants de chaque communauté, aucun cas d’asthme chez les écoliers Amish, et 7 chez les Huttérites. Un terrain allergique chez trois enfants Amish, et dix chez les Huttérites. Ce qui correspond au pourcentage général aux Etats-Unis, ou presque un tiers de la population est dite atopique. Alors que les deux groupes gardent des foyers domestiques tout à fait propres, c’est l’analyse de la poussière de maison en suspension dans l’air qui a révélé un pot aux roses : une quantité beaucoup plus importante d’endotoxines dans les maisons Amish que dans les maisons Huttérites, sept fois plus.


Un ciel de champignons

Un ciel de champignons

Les endotoxines sont des composants importants des parois bactériennes. Les allergènes divers sont aussi décelés dans quatre maisons Amish sur 10, contre une Huttérite. Au laboratoire, les biologistes ont fait respirer les deux types de poussières à des souris. La poussière de la maison Amish s’est avérée protectrice contre l’asthme, contrairement à la poussière des maisons Huttérites. Des différences biochimiques  et hématologiques (cellules sanguines) notables ont été observées à chaque niveau de la cascade allergique. En un mot, l’environnement microbiologique aérien, bio divers chez les Amish, possède une action favorable majeure pour l’établissement de l’immunité.

Les maisons et les appartements de nos cités sont séparées nettement des environnements extérieurs historiques avec lesquels nous avons co-évolué depuis des millénaires. Nous avons littéralement « changé d’air » en quelques petites dizaines d’années. Changer d’air, c’est  littéralement « changer de poussières », nous avons troqué notre environnement microbiologique favorable à l’établissement de notre immunité, contre un melting pot de particules fines et autres fumées délétères : ces dernières, non seulement n’initient pas correctement les défenses contre l’autre, « l’allergène », mais quand elles sont en trop grande quantité provoquent la réaction allergique potentiellement la plus grave, la crise d’asthme.


P1020255.jpg Guy Grandjean

En pratique ? Que faire ? Installer les villes à la campagne ?

Cette boutade est vieille comme Lutèce.

Verdir et animaliser les villes, pourquoi pas ? On a bien commencé avec les abeilles. Mais pour les vaches et les cochons, ça risque d’être coton. Quant au mouton dans la baignoire, pauvre bête, et pauvres voisins, le bêlement peut être insistant. Mais quelques poules de-ci de-là, pourquoi pas. D’entourer toutes les villes d’un zone fermière et maraîchère parait éminemment souhaitable, un rêve, ou une révolution de l’immobilier, il y a la triste racine « immobile » dans ce mot là. Tous les enfants citadins pourraient y retrouver un temps leurs sensations ancestrales en même temps que le microbiotope originel.

Vendre de la poussière Amish à faire respirer par le petit tous les matins ?

En faire un médicament de prévention grandement désirable ? C’est sans doute la voie activement explorée, en attendant le rêve.


Confusion

Confusion