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La nature dans le ventre de l’homme

Bactériologie


Colonies bactériennes diverses

Colonies bactériennes diverses

On oppose l’homme à la nature, comme s’il était en dehors de la nature, comme s’il n’était pas, lui, 100% naturel ! Mais quoi de plus naturel qu’un beau bébé joufflu ?

Que veut dire « préserver l’environnement », si ce n’est préserver la nature, à commencer par ses plus nombreux représentants, et des plus actifs, les hommes et les femmes ?

Cette confusion nous vient directement de la représentation religieuse qui nous a baigné pendant de nombreux siècles, en séparant le monde en trois : Dieu, les hommes et la nature.

En fait, ces trois entités n’en forment qu’une, la nature.

En voici une preuve irréfutable.


Papillon Ginkgo d'automne.

Papillon Ginkgo d’automne.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, les médecins viennent de décrire un « nouvel organe » de notre anatomie. C’est un organe métabolique, il gère en partie la digestion, pèse 1 kg, c’est ce qu’on appelle le microbiote. C’est l’ensemble des microorganismes qui colonisent nos intestins.

Salut ! Et ton microbiote ? Ca va ?

Le microbiote se constitue à la naissance, puisque les intestins sont stériles avant. Sa composition est  remarquablement stable tout au long de sa vie, pour un individu donné. Ces germes sont pour la plupart anaérobies, ils meurent très rapidement au contact de l’air, en fait de l’oxygène qu’ils ne supportent pas. D’autres peuvent survivre à l’extérieur, et c’est bien dommage. Car c’est là que nos ennuis peuvent commencer.

Ils peuvent très bien survivre dans notre environnement, visiter Paul après avoir ennuyé Pierre ; il leur devient très facile de communiquer avec d’autres, et ils ne s’en privent pas. C’est Pasteur et ses comparses qui ont décrit leur place dans nos excretas, donc permis de comprendre et justifier la propreté, puis l’hygiéne. Avant eux, on parlait d’odeurs, de miasmes. Parmi ces bactéries, pas de chance, certaines peuvent nous rendre malades ; dans nos pays développés, les plus courantes sont responsables d’infection urinaire, la plus célèbre est celle  qu’on appelait avant colibacille, qu’on a rebaptisé Escherichia coli, E coli, pour faire court. Le E coli est à l’origine des infections les plus nombreuses, et de loin. Les vaccins nous protègent de bien d’autres, mais pas de celles là.


Ortie en hiver

Ortie en hiver

Depuis la géniale découverte de la pénicilline, ces bactéries pathogènes ont plus de mal à nous embêter ; les médecins ont pu utiliser toute une gamme d’antibiotiques tels que dans les années 1990, certains ont pu penser que la lutte contre  l’infection était définitivement gagnée.

En 2010, exactement 20 ans plus tard, certaines de ces entérobactéries, « bactéries de l’intestin », tuent des malades, parce qu’elles sont devenues toto-résistantes, résistantes à tous les antibiotiques connus. La naissance de ces germes consternants ne doit rien au hasard. Ils naissent tous dans des écosystèmes qui leur sont favorables. Et l’écosystème favorable est toujours l’endroit insalubre, aspergé d’antibiotiques. Et une fois née, la  bactérie résistante « va côtoyer les copines », communiquer avec elles à l’extérieur de ce chaudron maudit. Et ses copines, le monde entier leur appartient. Hygiène, pas d’hygiène, surpeuplé, pas surpeuplé, soigné, pas soigné.

L’univers de ces bactéries est l’ensemble des microbiotes des animaux et des hommes. C’est ce qu’on pourrait appeler la microbiosphère, la planète bactérie.


La planète bactérie . Cultures bactériennes sur boite de Pétri. 

La planète bactérie . Cultures bactériennes sur boite de Pétri.

Après la Grèce, la Turquie, la Chine, et d’autres, l’Inde a vu naître il y a quelques années des bactéries  toto-résistantes sur son sol, c’est à dire dans les entrailles d’animaux ou d’hommes.

Le  mécanisme le plus important de cette grande résistance, en fait un gène, « donc une enzyme », se transmet à d’autres espèces bactériennes de notre microbiote, qui sont friandes de ces nouveautés. Le gène  qui code pour cette enzyme, appelée NDM-1, la New Delhi métallo-béta-lactamase, est ainsi balladé dans une petite valise que les bactéries s’échangent. On appelle cette petite valise un plasmide.

Nous pouvons tous héberger ce plasmide, ou une bactérie porteuse de cette résistance : pas besoin d’aller en Inde, puisque les Indiens viennent à nous. Nombre d’entre eux l’hébergent forcément, à leur insu. Et après notre voyage en Asie, nous en portons bien souvent dans notre microbiote, et mettons quelques semaines à nous en débarrasser à notre retour … dans nos systèmes d’épuration… Voilà pourquoi ce mécanisme est déjà repéré dans plusieurs pays d’Europe ; et sans doute dans tous les pays du monde, car bien sûr, les techniques pointues pour les mettre en évidence ne sont pas utilisées en masse.


Bazar bactérien sur boite de Pétri

Bazar bactérien sur boite de Pétri

Les journaux parlent de l’ attaque d’une bactérie multirésistante, ce qui est maladroit. Ce ne sont pas des bactéries agressives qui sont toto-résistantes, pour l’instant. A part le E coli, ces entérobactéries sont « opportunistes », elles nous agressent quand nous avons baissé la garde, pour une raison ou une autre. C’est inutile « d’éviter l’Inde » : ce qui y naît là-bas concerne le monde entier, car il est tout bonnement impossible d’empêcher ces bactéries multi ethniques de communiquer entre elles.

La seule solution est d’essayer de les repérer, et de freiner leur expansion, qui, de toute façon est inexorable, à moins que… Certains hôpitaux indiens, comme déjà des hôpitaux grecs et d’autres, sont redevenus en très peu d’années infréquentables, des hôpitaux « d’avant guerre » où l’on peut mourir par « impasse thérapeutique ». En France, depuis 2008, nous essayons, avec un certain succès, de freiner l’entrée de ces germes dans nos hôpitaux : ceci au prix d’une organisation complexe, et d’une énergie considérable. Mais de nombreux pays ont baissé les bras.

Voici donc pourquoi, quand on se chagrine d’une nature dévastée, on pleure d’abord sur un auto homicide  universel.


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