Rouges jardinspar Guy Grandjean
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Commerce intime

Philosophie

Démocrite, philosophe grec resté célèbre pour sa bonne humeur et son savoir encyclopédique, affirmait que la vérité était plongée au fond d’un puits.

La vérité sort du puits. Peintre Bourdais

C’est dans la même obscurité profonde, voire dans la même fraîcheur des confessionnaux, que dès le XII ème siècle, furent sondées les âmes chrétiennes.  La religion imposait la confession, c’est à dire l’aveu régulier des bêtises faites, des pêchés commis chaque jour.  Suivant leur gravité, le confesseur imposait des peines, allant de simples prières à de sévères épreuves.

« Une seule larme de remords suffit à éteindre le feu de l’enfer »

Accablé à l’idée d’avoir fauté, le bon chrétien était censé passer aux aveux.

Historiquement, cette confession privée, secrète, avait succédé à l’aveu public, conduisant à une pénitence publique elle aussi ; pour avoir renié sa foi, ou commis une faute scandaleuse, homicide, adultère, usure,  l’exclusion de la communauté pouvait être requise – le banissement-

Puis, à partir du VII ème siècle, des moines irlandais et gallois écrivirent le pénitentiel, véritable catalogue du redouté, où était proposée une tarification minutieuse des pénitences. Dès le XII ème siècle, ce livre disparut, la recherche de l’aveu prenant une importance grandissante, et tout au long des siècles suivants, les peines se feront plus légères, et en fait le pardon constamment donné. Au XVIII ème siècle, avait commencé la désaffection pour cette confession, qui devait être annuelle.

Mes grands-parents

Encore fallait-il se soumettre : mon grand père François, mort l’année de ma naissance en 1951 était un vaillant paysan breton. Il fut dénoncé quelques années avant la guerre pour avoir travaillé plusieurs fois le dimanche. Excommunié par le prêtre de son village, cette punition fut très mal perçue par sa famille, dans cette Bretagne encore imprégnée de religion. Quand on connait les conditions météorologiques difficiles pour les cultures dans ce pays très humide, le diktat religieux paraît bien cruel. 60 ans plus tard, son fils Mathurin, paysan lui aussi, refusera les offices religieux sur son lit de mort, en souvenir de son père.

De cette morale judéo-chrétienne complexe et tatillonne, il reste au bout de deux mille de pratique une morale laïque qui peut tenir en une seule ligne : « ne fais pas à autrui ce que tu n’aimerais pas qu’il te fasse »

Entre temps, l’âme s’est transformée en psychisme : la psychologie est née, dans le souffle irrésistible de la raison triomphante. Les médecins psychiatres du XIX ème siècle s’éloignèrent de l’interprétation religieuse de la maladie, des notions de « punition divine », et de culpabilité. Une porte ouverte pour l’empathie, la reconnaissance de l’autre , « différent et malade ».

Mais en sortant du milieu hospitalier, les fruits précoces de cette nouvelle médecine furent de qualités fort inégales. La psychologie naissante était prometteuse. Mais aux Etats-Unis, à la suite du succès des théories freudiennes, on se mit à craindre les complexes, tout comme la génération précédente avait vu se développer de nombreuses phobies des microbes, qui venaient juste d’être découverts. Les fantasmes de castration, les envies de pénis, les Oedipe furent traqués avec plus de ferveur encore que les diablotins du moyen âge, en un mot, une nouvelle morale était née.

La mise en scène de la confession auriculaire catholique, et celle de la séance psychanalytique procèdent étrangement d’un même théâtre :

Le caractère secret :

L’obscurité serait-elle favorable à l’affleurement d’aveux lourds, au travail de la conscience ? La discrétion de l’appartement bourgeois invite-t-il à l’auto auscultation ?

Le langage :

Le latin, peu de fidèles le comprennent. Le langage psy est souvent hermétique. En Afrique, les sorciers connaissent les vertus suggestives de l’amphigouri, discours complexe et obscur.

Le marché :

Au comptoir des bonnes affaires psychiques est née l’expression : faute avouée est à moitié pardonnée. Si tu n’es pas prêt à payer, c’est que tu résistes à la cure. Le coût important de cette thérapie la rend inaccessible à la plupart des malades. C’est ainsi que vers 1950, des familles se ruinèrent pour tenter de « guérir » leurs enfants d’une homosexualité qui s’avéra résister à des cures itératives.

Les positions :

Le confessé est à genoux, le psychanalysé sur le dos ; ce qui donne de l’avantage au dominant. Le ventre, partie molle, attire la dent du prédateur, comme le derrière de la tête la massue.

Le regard oublié :

Le plus étonnant,  ce qui met la puce à l’oreille, est l’absence de regard : elle rend douteuse la sincérité tant recherchée. Elle permet à elle seule la mise en scène de ce que reste finalement l’aveu : un acte de soumission, plus ou moins sincère. Obéissance au père ou à la mère, dans un contexte affectif, que les psychanalystes appellent le transfert. Obéissance à un système de représentations, dans le domaine psychologique. La mystérieuse alchimie de deux regards qui se fondent manque à la rencontre.  Freud avait décidé d’abandonner le face à face, car il se fatiguait vite de cette confrontation. On peut dire qu’en prenant cette décision, il était devenu ipso facto un gourou, c’est à dire le fondateur d’une secte.  Il en avait d’ailleurs tout à fait conscience.

Pauvres pécheurs ! Notre ignorance congénitale, notre nudité psychologique nous vouent à l’imitation, aux croyances les plus extravagantes, à nous tromper inlassablement. L’histoire nous montre que cet empressement à imiter l’est aussi dans le domaine de l’atroce. La Saint -Barthélemy dura trois jours à Paris, et on dénombra 3000 tués. Les media de l’époque étant plus lentes, c’est avec un décalage de quelques jours que les grandes villes de Province connurent leur Saint-Barthélemy. 

Non mais ! La capitale, c’est la tête (caput), pourtant  

« Nous en Province aussi l’on a de beaux assassinats! » G Brassens

… Quelques siècles plus tôt…

Simon le magicien, personnage mystérieux, converti au christianisme, voulut acheter les apôtres Pierre et Paul, pour recevoir d’eux le pouvoir de communiquer l’Esprit Saint par l’imposition des mains. Initiateur du commerce des choses saintes, il a laissé le mot simonie : trafic d’indulgences, de reliques, de charges ecclésiastiques qui prit une importance incroyable au Moyen Age. En fait, le chrétien pouvait acheter tout simplement « sa bonne conscience ». De ce commerce naquit l’extraordinaire richesse de certaines églises, et une des raisons de la naissance du protestantisme.  Par la suite, le délit de simonie fut sévèrement réprimé par l’Eglise, et de nos jours, il n’en reste qu’un petit traficotage d’horaires de messe.

Ainsi est illustré l’aspect métaphysique du lien puissant qui s’établit presque naturellement entre l’homme et l’argent. Non seulement l’argent vous fait survivre dans les sociétés de pénurie énergétique, alors que les autres crèvent. Non seulement Il vous donne accès à de nombreux plaisirs bien palpables, au pouvoir, mais il vous permet surtout de vous prendre pour ce que vous n’êtes pas. En d’autres temps, on disait plutôt :     

 » qui veut faire l’ange fait la bête « 

Nous terminerons par l’histoire de cette petite fille qui, vivant à la campagne, s’était attachée, au cours des années, à ses animaux, dont une jument de trait, Fanny.  Un triste jour, elle vit avec terreur son cheval adoré poussé dans une camionnette, celle des équarrisseurs, car il se faisait maintenant bien vieux…

Inconsolable, elle vit l’homme de la camionnette se diriger vers elle, et de ses grands yeux étonnés, elle le vit lui donner une pièce de cinq francs…

Pièce qu’elle s’empressa de jeter…