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Une invitation au marronage

Philosophie

Sorcier africain par Herbert Ward

Le mot marron a été utilisé dès la présence espagnole dans les îles Caraïbes, pour qualifier l’animal domestique retourné à la vie sauvage. Ce mot est dérivé de cimarron, cimarra, fourré en espagnol ancien.

Un peu plus tard, sans doute, tout naturellement pour un grand nombre de blancs à l’époque, c’est l’esclave évadé qu’on a appelé « marron », à la suite d’un « marronnage », c’est à dire d’un retour à la liberté. Inutile de s’étendre sur le sort qui lui était réservé s’il était repris.


Ce mot  » marron » a été utilisé aussi pour désigner un professionnel exerçant sans titre, illégalement. Les biologistes s’en sont emparés également pour désigner l’ensauvagement d’un animal domestique. Les exemples les plus connus sont les chevaux Mustang , redevenus sauvages il y a déjà quelques siècles, les chats sauvages qui pullulent aux Etats-Unis, le dingo australien issu d’un chien, animal domestiqué depuis longtemps. En France, nous sommes un peu à l’étroit, mais la Corse, comme toute île,  possède une faune originale et a sans doute été le lieu de deux marronnages exceptionnels : le sanglier et le mouflon. Il est admis en effet que le mouton a pour lointain ancêtre les mouflons.


L’animal domestique, qui donc s’est soumis à l’homme, y gagne le couvert et une tranquillité certaine, puisqu’il échappe ainsi à l’infernale violence de la prédation. Mais, que de différences entre le mouton et le mouflon corse, ce dernier étant issu d’un marronnage déjà ancien. La domestication se solde toujours par une baisse d’acuité des différents sens : la vue, l’audition, l’odorat, le goût. Peu à peu, la perception globale de l’environnement s’épaissit, la génétique s’en mêle, l’homme aussi et que de distance entre un bon gros charolais bouffi et l’Aurochs ou le Bison ! Fossé palpable, mesurable par le poids du cerveau qui diminue et ses entrelacs, ces complexes ramifications, qui s’estompent.


Les zoos ne nous présentent d’ailleurs bien souvent, et malgré tous leurs remarquables efforts, que des « spectres » d’animaux. Le marronnage d’un grand félin est inconcevable, et les réintroductions en milieu naturel des lions, panthères, guépards issus de nos parcs européens sont toujours des échecs. L’apprentissage de la chasse manque « cruellement ». Même si à la première génération captive, on peut considérer que le potentiel génétique est resté intact, l’animal reste dépendant de l’homme.

Au Congo il y a quelques années, ont eu lieu des réintroductions de chimpanzés. Orphelins recueillis très jeunes, ils avaient subi une « préadaptation » d’une dizaine d’années sur une île où ils pouvaient réapprendre à se nourrir en forêt. Malgré ces précautions, le contact avec leurs congénères indigènes fut extrêmement violent après leur libération en milieu sauvage. Seules les femelles survécurent, et s’intégrèrent, les mâles ayant été massacrés.

Que dire de l’orang-outang, « l’homme des bois » de Bornéo ?  Dans sa forêt natale, c’est un véritable érudit botaniste. Son éducation commence fort tôt, ce qui lui permet de vivre de fruits. Il se nourrit ainsi de plus de trois cents espèces végétales, perché dans ses hauteurs : il connaît son arbre comme son chapelet. Mais, brutalement occidentalisé, il est incarcéré le plus souvent dans des enclos exigus et peu adaptés. Ses pathétiques regards lancés de sa cage dorée à ses visiteurs ne rencontrent alors souvent que les yeux des vainqueurs. De vouloir « sauver une espèce » n’a pas vraiment de sens. On sauve son biotope, et elle avec.

Quant à Homo sapiens, l’homme prisonnier de son besoin d’aller vite, j’imagine à ma manière son marronnage. Le voir s’arrêter un instant, et se replonger dans le monde des sens. Retrouver l’habitat primordial, le sentiment de nature, et sa splendeur. Imaginer cette proximité ancienne avec les éléments, enrichi des connaissances accumulées aujourd’hui. Car c’est l’univers qui nous a créé, beaucoup plus que nous nous sommes construits, pour l’instant. L’amour et la liberté qui seuls et ensemble, font naître la « lumière humaine » ne sont concevables qu’en ressentant cette puissante filiation : c’est le début d’un dialogue entre l’homme, et l’implacable nature.