Rouges jardinspar Guy Grandjean
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Un chirurgien de brousse appelé l’homme fibre

Virologie

Nous pensons tous dans nos pays nantis être bien au chaud, à l’abri des désordres qui affectent tant de pays « pauvres ». C’est une illusion d’optique. Tout ce qui se trame et se détrame chez nous les concernent. Toutes leurs vicissitudes et leurs bonheurs nous touchent de la même manière.


En Chine, il y a quelques années.

En Chine, il y a quelques années.

C’est particulièrement évident pour le microbiologiste : les virus et les bactéries ne reconnaissent guère nos frontières. Pas besoin de passeport, de carte de séjour. Pour ne citer qu’un exemple proche et encore frais, en Grèce, où les antibiotiques ont été utilisés avec désinvolture, sont nées des bactéries multi-résistantes. Des malades français rapatriés ont ainsi ramené à Paris ces germes consternants.

Dans certains pays du Sud où des molécules de dernière génération sont distribuées en masse, les résistances apparaissent aussitôt ; les gènes qui les portent sont transmis horizontalement à de nombreux germes. L’Inde et la Chine sont ainsi les plus grands pays ensemenceurs de résistances bactériennes dans le monde entier, essentiellement par le biais des systèmes digestifs des touristes.

Tous ces nomades reviennent au pays avec de grandes chances de ramener ces gènes de résistance, sans qu’ils en souffrent bien sûr le moins du monde. Il s’en débarrassent d’ailleurs rapidement, en quelques mois. Mais ces germes restent dans notre biotope. On peut retrouver ces résistances chez des bactéries hébergées par des oiseaux, à l’autre bout de la planète, bref, tout le monde vivant est concerné.

La médecine s’adapte à cette mondialisation, et jamais la coopération internationale n’a été aussi intense et fructueuse. Témoin la gestion du Covid, de la mise au point du vaccin. Témoins tous les médecins qui ont travaillé pour l’Afrique, en ramenant dans leurs valises des trésors de connaissance bienfaisante.

Denis Burkitt est de ceux qui ont voulu suivre les traces du fameux docteur Albert Schweitzer. Il se montre curieux de tout, en pratiquant une médecine et une chirurgie dites de brousse. En 1957, en Ouganda où il s’est installé, on lui amène un enfant atteint d’une affreuse tumeur au visage. Peu de temps après consulte une petite fille atteinte du même mal, venant du même village.

Tout de suite lui vint l’hypothèse d’une origine infectieuse. Son père était ornithologue, un des premiers bagueurs d’oiseau en Irlande. Tout comme son père, qui décrivit une géographie du rouge gorge, il se mit en quête de ces pauvres enfants malades à travers toute l’Afrique. Avec un budget de 678 livres sterling, il découvrit peu à peu « the lymphoma belt« . La ceinture du lymphome africain. Elle correspondait à l’ère d’extension du paludisme, de la fièvre jaune. Pas moins de 15 °C, pas au-dessus de 1500 m, pas moins de 45 cm de précipitations. Tout ceci pouvait faire penser à une contamination par insecte, hypothèse qui sera plus tard réfutée.


Il confie ses biopsies à Michael Anthony Epstein, spécialiste de virus aviaires. Après trois ans de recherche, il met en évidence avec Yvonne Barr et Bert Achong un nouveau virus herpès. Ce nouveau virus fut étudié par quelques labos, dont un laboratoire de Philadelphie où se contamina accidentellement une technicienne. A la surprise de tous, elle développa « the glandular fever » ou mononucléose infectieuse. Une des maladies virales les plus fréquentes, les plus banales, à travers le monde entier, était enfin décryptée, grâce à Denis Burkitt, obscur médecin de brousse. Cette enquête, qui lui coûta 200 timbres poste et la visite d’un soixantaine d’hôpitaux fut la première montrant la relation entre une tumeur et un virus.

Le mode de dispersion du virus d’Epstein Barr est à l’origine de la nouvelle dénomination, « la maladie du baiser », « the kissing desease », car la salive en est le pourvoyeur. Le contact rapproché et le baiser, c’est tout ce qu’il faut à notre virus pour se répandre ; il touche 90 % de la population mondiale, à un moment ou à un autre. On ne peut le classer chez les tueurs, sauf en Afrique…


Bert Achong ne fut pas convié aux honneurs, curieusement son nom est tombé dans l’oubli.

Denis Burkitt fut connu du grand public pour une toute autre trouvaille. Il fut appelé « the fibre man« , l’homme fibre.

Even a bug is beauty

 Son observation de base était très simple. A travers toute l’Afrique, il remarqua que les selles (qu’il pris en photos, en bon collectionneur !) émises par la population étaient généralement très différentes des « selles européennes ». Elles étaient plus grosses, plus molles et flottaient (densité moindre). Il lui fut facile de montrer que c’était la richesse en fibres qui faisait la différence. Moins de coronopathies, moins de diabètes, de diverticuloses, d’appendicites, de tumeurs du colon, de calculs biliaires. En 20 ans de chirurgie africaine, il n’avait opéré un calcul qu’une seule fois ! L’africain qui adopte « the way of life » américain retrouve ces pathologies décrites. Avec trop de viande, pas assez de légumes, du « stress », et de la sédentarité.

« l’Amérique est une nation de constipés. »« America is a constiped nation »

« les pays avec de petites selles ont de grands hôpitaux. » »you have big hospital when you pass little stools »

C’étaient deux de ses métaphores.


Belle selle de vache, autrement dit belle bouse. Sitôt émise elle suscite l'intérêt de nombreux insectes spécialisés.
Belle bouse de vache sur bouse sèche

Belle selle de vache, autrement dit belle bouse. Sitôt émise elle suscite l’intérêt de nombreux insectes spécialisés.