Rouges jardinspar Guy Grandjean
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Même les bénitiers grenouillent

Philosophie

Amphibien. Deux vies, une dans l’eau, l’autre dans l’air. En voie d’extinction, deviendra donc Abien, sans vie, juste numérisée en souvenir. Tout se coalise contre eux : le rayonnement UV modifié par notre couche d’ozone menacée , la disparition de leur habitat, l’effondrement de la biodiversité, les molécules pesticides, et même l’appétit français pour leurs pattes arrières.

Les hommes grenouilles, avec leur combinaison noire, ressemblent de loin plus à des têtards qu’à des batraciens adultes.

Mais les hommes grenouillent, aussi.

 Partout, dans toutes les sociétés, dans tous les groupements, depuis l’origine, les hommes magouillent, mentouillent, trichouillent, gribouillent, bref, grenouillent. Seules les vies tribales, incrustées dans des biotopes les plus difficiles, ont parfois ignoré cet universel phénomène. La raison en est simple : que ce soit l’aborigène australien, le bushman du Kalahari, ou l’inuit du Grand Nord, la survie était tellement difficile, qu’elle ne tolérait pas le despotisme. Le mensonge, la tricherie auraient mis en péril l’ensemble du groupe. D’où l’importance vitale de l’information juste, voire vraie. Personne ne pouvait faire une carrière de menteur. C’est l’inverse partout ailleurs. Je l’écris sans juger, je le chante avec G. Brassens  » Le pluriel ne vaut rien à l’homme et sitôt qu’on / Est plus de quatre on est une bande de cons ».  Seules les communautés médicales peuvent parfois échapper à ces grenouillages, c’est mon expérience. Et ces grenouillages n’ont pas épargné les religions, ces univers où l’amour social était censé nous préserver de la violence omni régnante. Que ce soit dans les abbayes, dans les paroisses, ou à Rome, les groupes religieux ont laissé tout un langage fleuri disparu : « quand il pleut sur le curé, il goutte sur le bedeau », « les moines répondent comme l’abbé chante », et bien sur, « la grenouille de bénitier »,  un individu fervent religieux, toujours près du bénitier pour faire ses prières, mais aussi redoutable médisant. Un amphibien, au sens étymologique, qui vit dans le péché à l’air libre, et s’en lave l’esprit avec l’eau sacré du bénitier qui purifie.


Comme toutes les mamans du monde, les grenouilles rivalisent d'ingéniosité pour protéger leurs rejetons. Cette espèce se prive de nourriture quelques semaines, pour une gestation "longue en bouche".

Comme toutes les mamans du monde, les grenouilles rivalisent d’ingéniosité pour protéger leurs rejetons. Cette espèce se prive de nourriture quelques semaines, pour une gestation « longue en bouche ».

Dans notre monde de brutes, nous ne percevons plus ce monde animal, et toute cette imagerie naïve, mais si touchante, qui inspirait Jean de La Fontaine. Sa grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le boeuf. Et quand on nous sert de l’animalité au JT de 20 Heures, son témoignage n’est plus que gênance. Adieu veaux vaches poulets cochons, cachés à nos regards ; animaux élevés en masse, parfois maltraités, souffrances silencieuses, ambiances excrémentielles. Adieu coraux, papillons, abeilles, beautés sauvages et leurs chants, détruits sans vergogne par la violence qui nous enchaîne.

Et pourtant !

La peau de grenouille vient de parler, grâce au Dcr Jacob et son équipe : sur 24 peptides antimicrobiens secrétés par ces jolis amphibiens vivants dans le Sud l’Inde, Hydrophylax bahuvistera, l’un d’entre eux, l’urumine, détruit spécifiquement tous les virus influenza A, c’est à dire les virus grippaux.

Une souris avec des gouttes d’urumine dans le nez survit à des infections grippales normalement mortelles. Nouvelle majeure, quand on sait que ces virus sont parmi les seuls à nous menacer d’épidémies importantes.

Bonne nouvelle pour les infectiologues qui ne disposent plus que du Tamiflu et du Relenza, pour cette indication, avec des résistances menaçantes. Excellente nouvelle donc pour l’humanité. Nouvelle insignifiante sans doute pour les nombreux humanoïdes bien calibrés qui nous bétonnent chaque jour un avenir sans baiser, sans battements d’ailes, et sans coassements.


La constellation de la grenouille, dans le ciel des animaux disparus

La constellation de la grenouille, dans le ciel des animaux disparus


Ultime photo d'une espèce disparue

Ultime photo d’une espèce disparue

La promotion de l’agroécologie est le cadet de leur souci. Ils s’en battent l’oeil. Certains même s’en tamponnent le coquillard sur une brouette. Eux, ils comptent, ils ne savent faire que ça. C’est normal d’ailleurs, ils ont été biberonnés à la sauce chiffre. Pourtant il est temps de respecter ces zones humides, il est surtout temps d’arrêter de salir l’eau.  De baisser la pression pesticide, ce qui est techniquement devenu facile. La disparition des amphibiens s’accélère, avec la mondialisation mystérieuse de la chytridiomycose. Une de ses variétés a fait disparaître en peu d’années la salamandre et le triton en Belgique et aux Pays Bas, un clignotant au rouge de plus. La grenouille, si dépendante d’une eau propre nous le coasse, il faut la croire, avant que le corbeau ne nous le croasse.


Les couleurs vives sont associées à la toxicité de ces petites grenouilles immangeables.

Les couleurs vives sont associées à la toxicité de ces petites grenouilles immangeables.