Rouges jardinspar Guy Grandjean
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Vaccin bonbon et vaccin croquette

Virologie

 

 

 

Les grandes peurs des années 1950

Il y a eu la grande peur que le ciel ne s’écroule sur leurs têtes, celle de l’an mille. La grande peur des famines,  des éclipses totales de soleil, des passages de comètes, la crainte des châtiments divins. Chaque époque en a connues, de ces peurs de guerre, ou d’épidémies. Les périodes d’accalmie étaient courtes. Au XIX ième siècle, on craint la Prusse, mais pas autant que le choléra qui débarque, avec le cahot impressionnant qu’il entraîne.

 La peste et le choléra vaincues, l’insaisissable tuberculose sème la peur dans chaque famille,  tandis que la syphilis tourmente la vie sexuelle .

 Après la deuxième guerre mondiale, règnent deux grandes peurs aux Etats-Unis, la bombe atomique fraîchement utilisée et … la polio.

 

 


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Un malade de la polio gravé pour l’éternité dans l’Egypte des pharaons.

C’est dire l’ancienneté de ce virus qui ne s’attaque qu’aux hommes, comme celui de la variole. Mais étrangement, il faut attendre le XX ième siècle pour que soient décrites des premières épidémies meurtrières aux Etats-Unis et en Europe où  l’on peut compter des centaines de malades paralysés à vie, et un grand nombre de décès à chaque épisode.

 

 

Le poumon d’acier permettait de récupérer la fonction respiratoire quand les poumons étaient atteints. Mais certains enfants pouvaient y vivre des années.

Ces grandes épidémies sont apparues d’abord dans les pays à niveau d’hygiène élevé, les pays du Nord et les Etats-Unis, cette observation frappait les médecins. Ces pays pionniers où l’eau du robinet était désinfectée, où on demandait de faire bouillir le lait pour les enfants ! D’où la perplexité des hygiénistes et des épidémiologistes, qui se demandaient si ils n’avaient pas fait fausse route.

Il aura fallu plus d'un siècle pour lutter contre les conséquences imprévues de ce passage à la consommation d' eau propre.
Il aura fallu plus d’un siècle pour lutter contre les conséquences imprévues de ce passage à la consommation d’ eau propre.

 

Dans les années 1950, une étude montra clairement que les enfants européens étaient 15 fois plus touchés au Maroc, que les autochtones. En fait, avant la chloration de l’eau, ce type de virus était omniprésent dans la plupart des sources d’eau consommée. Quasi systématiquement dans les villes où l’eau était le plus souvent souillée. Mais même en campagne, les puits trop proches des dépôts d’excretas colportaient ces enterovirus, la fièvre typhoïde, ou autres engeances. Tout le monde était donc mis en contact avec ces virus, donc ceux de la polio, et ceci dès la plus tendre enfance. Et il se trouve qu’au début de la vie, le nourrisson est protégé par les anti-corps maternels. C’était donc à ce moment là que monsieur tout le monde se forgeait son immunité anti-polio, par une espèce de vaccination naturelle en quelque sorte. Ceux qui n’en profitaient pas étaient à grand risque de contamination ultérieure. Mais sur deux cent cas, un seul se traduisait par une paralysie, les autres n’étant atteints que d’un simple syndrome grippal. D’où la rareté des cas avant le XX ième siècle. Des jeunes enfants en général, et encore plus rarement des adultes.

Mais au XX ième siècle, siècle de la démesure, siècle où explose la bombe démographique,  tout bascule. L’horreur s’invite, des villes entières sont frappées comme par la foudre. D’ailleurs au début, on ne comprend pas. Des quarantaines sont organisées, des euthanasies de chats, de chiens, en vain. Comme on ne connaissait pas de médicaments anti-viraux, l’unique solution paraissait être la vaccination . C’est dire la pression faite sur les défricheurs, les chercheurs.

Plusieurs virologistes, sur la lancée des techniques Pastoriennes avancent peu à peu. Malheureusement, pour faire des vaccins, il faut produire des virus en grand nombre : rien n’est possible avant la maîtrise de leur culture . Les seuls animaux sensibles au poliovirus étant les singes de l’ancien monde, on comprend facilement que même un génocide n’aurait pas suffi pour produire ce vaccin. Mais un biologiste John Enders arrive à cultiver le virus sur des cellules de rein de singe tapissant des boites à fond plat. Un immense champ d’action s’ouvre alors : on peut tester toutes les manières possibles d’inactiver le virus, ou d’en atténuer la virulence. Le premier essai vaccinal, avant guerre, avait été totalement catastrophique, improvisé de manière surprenante. Mais le virologiste Jonas Salk, qui avait commencé son job en travaillant sur le virus de grippe, possédait une solide expérience. Il lui fallut quelques années pour mettre au point un vaccin injectable. Il l’expérimenta le premier sur lui même, puis sur sa famille et les membres du laboratoire. Des fonds lui furent donnés par une Fondation d’enfants paralysés. En 1954, deux millions d’enfants furent vaccinés, avec 20 000 médecins, 40 000 infirmières et 50000 enseignants volontaires. Les résultats, annoncés le 12 avril 1955, jour anniversaire de la plus célèbre des victimes de la maladie, le président Roosevelt. Aucun effet secondaire ne fut rapporté, et la diminution des cas était de plus de la moitié. Ce jour là, toutes les cloches sonnèrent à travers les Etats-Unis, comme après la fin de la guerre. On demanda à Jonas Salk devant les caméras :

  « Qui est propriétaire du brevet? »

« Il n’y a pas de brevet, peut-on breveter le soleil ? »

Des langues perfides firent remarquer qu’il n’y avait rien à breveter,  Jonas Salk ayant juste surfé adroitement, en grand professionnel, sur des techniques éprouvées et connues de tous. Mais, en pratique, son refus rendit la vaccination de masse bien plus facile, naturellement.

Guy Grandjean

Cette année là un autre vaccin, administré par voie orale celui là, est mis au point par Albert Sabin, aux Etats-Unis également. Albert Sabin est d’origine russe, juif ashkénaze, de son vrai nom Saperstein qu’il a abandonné en s’installant aux Etats-Unis. C’est un véritable biologiste touche à tout, remarqué par la diversité de ses trouvailles. Il a laissé son nom à un test de diagnostic de Toxoplasmose très élégant, qui a longtemps été utilisé dans nos labos. Mais, devant le succès de celui de Jonas Salk, pourquoi continuer sur la piste d’un autre vaccin ? Albert croit en la simplicité de son vaccin, à sa grande efficacité. Il a réussi à atténuer le virus, qui n’est plus infectieux, mais simplement immunisant, en restant vivant. Il le teste avec succès sur lui-même, sa famille, et des prisonniers d’un pénitencier. La même année , il est invité par l’industriel Charles Mérieux à Lyon . Ce dernier est le fils d’un Pastorien, qui a créé à Lyon un laboratoire privé de fabrication de vaccins. Charles Mérieux a l’excellente idée d’inviter les équipes de vaccinologues du monde entier pour « standardiser les procédures », au cours d’un colloque. Parler un langage commun, quoi de plus important pour rapprocher les hommes ?

Guy Grandjean

Il cherche un lieu, demande au maire de l’époque, celui dont j’ai parlé il y a peu, qui avait considéré les aliénés « comme des déchets ». Cet ancien Président du conseil lui offre la mairie, à la condition qu’il invite les Russes, auxquels Charles n’avaient pas pensé, refroidi par quelques visites antérieures. Nous sommes en pleine guerre froide. Mais les chercheurs recherchent la coopération. L’enjeu humain , énorme, les rapproche, même si ils sont bien souvent concurrents. Albert Sabin voit en l’ URSS un endroit simple de tester en grand son vaccin. Il donne donc ses souches atténuées à un virologiste Russe de haut vol, Mikhaïl Tchoumakov. Celui qui a découvert entre autres, l’agent de l’encéphalite à tiques, dont il a d’ailleurs été la victime en le manipulant : il y a laissé son ouïe et la motricité de son bras droit. Cette coopération sera très fructueuse, et permettra à la Russie de proposer ce vaccin efficace, sur, et de faible coût, à un grand nombre de pays. En peu de temps, la Russie sera débarrassée de la polio par une politique originale et efficace. Elle organise à travers tout ce vaste pays des lâchers de bonbons vaccins par hélicoptère. Il faut trois doses, donc trois fois les hélicoptères sillonneront ces vastes étendues pour y semer dans les villages des pochons de gâteries. Les responsables savent bien que si par gourmandise, les enfants en prennent plusieurs, aucun effet délétère ne s’en suivra. Elle ne recherche pas une vaccination touchant 100 % de la population, elle sait bien qu’elle n’est pas assez bien administrée pour cette politique qui sera suivie méticuleusement par des « petits » pays mieux organisés. Elle pense qu’en vaccinant le plus grand nombre, le virus circulera moins : et c’est ce qu’il se passe . En peu d’années elle devient pratiquement indemne de la maladie. Dans les années 1960, les Russes annoncent laconiquement aux occidentaux qu’ils ont vacciné 100 millions de personnes avec succès; certains observateurs pensèrent  » bluff, » mais ils avaient tort.

Guy Grandjean

 

 2021 est possiblement l’année des derniers cas de polio sur notre bonne vieille terre, en tout cas pour 2022, on y croit.  Si le vaccin oral a fait 99 % du travail, c’est maintenant celui de Jonas Salk qui seul, va être utilisé pour en finir avec ce virus maudit.

L’Afghanistan, le Pakistan sont les deux derniers pays déclarant des cas de maladie. Les refus, pour des raisons religieuses obscures semblent avoir cédé.

Guy Grandjean

Je repense à ces sucres que notre maman nous avait offert, très émue de nous protéger, et aussi simplement. Elle qui n’aimait pas les vaccinations, elle qui détestait nous voir piquer, une sucrerie pour ses enfants, quoi de plus doux.

Eau du puits : le plus petit animal tombant dans le puits pouvait corrompre l'eau ...
Eau du puits : le plus petit animal tombant dans le puits pouvait corrompre l’eau …

 

 

 

 

Les vaccins croquettes : furent utilisés pour éliminer la rage des pays européens. Le dernier animal concerné étant le renard, il fut vacciné en masse par des lâchers de croquettes par hélicoptère. Voir le post « écume de rage ».