Rouges jardinspar Guy Grandjean
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A chacun sa thyroïde

Humeur

 

 

Depuis quelques semaines au labo, nous contrôlons d’abondantes thyroïdes, en dosant la TSH, sur prescription médicale. Ma première réaction à l’annonce du cafouillage sur les changements d’excipients du Levothyrox : déjà connu ce genre de méli mélo, ah oui, un épisode des années 1995, qui avait commencé ainsi. Un lundi matin de fort bonne heure, un patient très inquiet se fait contrôler ses anticorps anti VIH.  « Monsieur, j’ai fait un test chez vous avec un réactif qui vient d’être mis en cause dans les media. »

Première nouvelle du jour, le coq venait tout juste de chanter. Je suis très surpris, comment parler au patient ? Je n’avais pas été informé, et pourtant, en tant que biologiste utilisateur quotidien de ces réactifs, je me sentais légèrement concerné.

Des cendres d’algues, riches en iode, ont été dans certains pays un traitement historique des goitres.

Vingt ans plus tard, même scénario, sans doute avec bien moins d’enjeu : les labos, la plupart des médecins apprennent les vicissitudes du Levothyrox et de ses couleurs, en ouvrant leur journal, ou leurs mails, ou en écoutant leur radio. Le nouveau Levothyrox aurait été à l’origine de troubles chez un pourcentage non négligeable de patients. Le labo se défend en disant avoir envoyé un mail à tous les médecins, et aux pharmaciens au mois de février. Les médecins et les pharmaciens étaient censés à leur tour prévenir tous les patients possiblement concernés ; clairement ce mail n’a pas rempli les offices escomptés.

D’où une avalanche de plaintes, j’allais dire télé induites, télé au sens de tele, en latin « au loin », et non pas -télé au sens de télévision-. Car ces soucis d’équivalence entre formes galéniques différentes, qui ne sont jamais très graves, avaient été déjà décrits il y a quelques années, au moment du passage au générique. Pas de médiatisation à l’époque, peu ou pas de plaintes, mais des adaptations de posologie peaufinées au coup par coup entre le médecin et son malade. Même si ces modestes modifications furent fort peu du goût de nombreux endocrinologues, et de patients !

Averroès, médecin musulman andalou de langue arabe du XII ème siècle.

Pour en revenir au VIH, en 1995, ce n’était pas facile de prévenir tout le monde médical rapidement, la société accouchait juste d’internet ; ce qui n’est plus vrai maintenant, où un seul clic pourrait « faire voir grand » ! Mais encore faut-il que le mail soit lu, d’une part, et qu’il soit explicite. Si j’ai  reçu ce mail, je n’y ai  guère prêté attention. Et je n’imagine pas les généralistes en prendre cas.

La thyroïde est un organe tout à fait central, un thermostat de l’activité de chacune de nos cellules, et même de notre vie émotionnelle intime, elle est régulée par nos centres nerveux supérieurs. Voir « La vie un fascinant continuum »www.rouges-jardins.com/blog/2016/8/16/la-vie-est-un-fascinant-continuum. Nous sommes tous différents, et même dans notre plus secrète physiologie. Il est donc difficile de donner du Levothyrox simplement, comme on prend de l’aspirine, sans un dialogue dit  « singulier » avec le médecin. Eventuellement, on ôte des thyroïdes incompétentes, gênantes, depuis fort longtemps. Pendant des dizaines d’années, presqu’un siècle, des extraits thyroïdiens animaux furent donnés à bien des patients, chaque jour, pour compenser le manque, vital. Puis la merveilleuse lévothyroxine -Levothyrox- est apparue, copie conforme de l’hormone naturelle. Elle a toujours été de maniement parfois délicat, et dépendante de la formulation, des excipients. Mais quand la dose est trouvée, les patients peuvent oublier pendant de nombreuses années ce souci. Il est bien possible aussi qu’elle soit prescrite « en excès », car les pathologies thyroïdiennes sont assez souvent passagères. Et les signes cliniques sont tellement divers et variés ! Les variations de la fameuse TSH ne doivent pas impressionner outre mesure, c’est un ensemble clinico-biologique qui est considéré. D’autant qu’elle met un bout de temps, six semaines à réagir au changement de posologie.

La thyroïde apaisée : le calme retrouvé. La Loire à Ancenis.
La thyroïde apaisée : le calme retrouvé. La Loire à Ancenis.

Mais le tam tam médiatique couvre de ses décibels les paroles des médecins. Il leur reste le chuchotement, à chacun sa vérité, à chacun sa thyroïde. La compréhension de ces problèmes d’excipient n’est pas évidente. Le lactose a été remplacé “de bonne foi” par le mannitol pour deux raisons .

La première, c’est que le mannitol est censé relarguer l ‘hormone de manière plus régulière dans l’organisme. On admet bien donc une différence entre les deux . Mais l’organisme s’adapte au Lévothyrox, chacun à sa manière. Une petite modification de dosage de l’hormone peut être plus ou moins ressentie. Normalement, il existe un rythme nycthéméral, et peut être chez certains, le lactose se rapprochait il mieux de ce rythme, en fonction de l ‘heure de la prise du médicament.

Une autre raison évoquée est la vente de cette nouvelle formulation sur le marché chinois, l’intolérance au lactose étant fréquente dans cette population (historiquement sans apport lacté).

A chaque feuille son automne
A chaque feuille son automne

Le mot information vient du latin informatio « donner une forme dans » « instruire »  » construire dans ». L »‘information » du labo aux médecins, aux pharmaciens, à nos autorités de santé n’a pas fonctionné, peut on en tirer des leçons, ou sommes nous entrés dans un nouveau monde, un monde de fureur virtuelle, de fausse transparence ?