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Une vitamine qui nous en fait voir

Ecologie


Le CAC 40 de l'énergie, vers les années 1900. Photo expo Arthur Rimbaud. La Gacilly.

Le CAC 40 de l’énergie, vers les années 1900. Photo expo Arthur Rimbaud. La Gacilly.

Je lisais le titre d’un mensuel scientifique : les neuf découvertes qui ont révolutionné le monde. Pour moi, certes, ces trouvailles de la science physique ont changé nos vies, mais elles n’ont pas « révolutionné » le quotidien de « monsieur tout le monde », loin s’en faut. Non, ces « j’ai trouvé ! « ,  « eurêka !,  » c’est de la roupie de sansonnet à côté du plus extraordinaire changement de vie qu’aient connu nos sociétés :  la possibilité d’utiliser de l’énergie facilement : ce fut l’usage du charbon, puis surtout du pétrole et du gaz.

Cette énergie facile a permis l’arrêt des régimes de pénurie, en permettant une agriculture plus productive, la cuisson des céréales, le chauffage des maisons, et de l’eau pour l’hygiène. Elle a sans doute eu aussi un énorme effet collatéral : elle a permis la paix entre les peuples, les casus belli historiques étant bien souvent des recherches de nouvelles ressources, à travers de nouveaux territoires. N’oublions pas que la dernière grande famine en Europe ne date que des années 1850, en Irlande.

Voir le post « Ecoutez ma patate irlandaise »

www.rouges-jardins.com/blog/2017/10/8/nanwsvw9pt834bxnmnigat6ir22qoc


Traction animale : machine à broyer l'ajonc, nourriture pour le bétail. Bretagne début du XX ième siècle.

Traction animale : machine à broyer l’ajonc, nourriture pour le bétail. Bretagne début du XX ième siècle.

Avant cette période d’abondance énergétique, au XIX ième siècle, les médecins observaient des maladies carentielles, dans de nombreuses sociétés humaines. Ils en arrivèrent à définir le concept de vitamine, à travers une multitude d’observations, d’enquêtes sur les modes de vie des populations pauvres, dénutries.  Le début de l’épidémiologie nous enrichit de nombreuses découvertes. La vitamine, par définition, est nécessaire à la vie, mais agit à de faibles concentrations.

Si la vitamine C est connue de tous, on sait moins que le scorbut, la malédiction du marin, fut la première maladie à être soignée par la consommation de simples aliments, fruits frais ou légumes. Moins connue encore est la vitamine A, et c’est pourtant elle dont la carence est la plus manifestement observable dans les pays pauvres. On dénombre 500 000 enfants aveugles par carence dans le monde, chaque année, et une majorité d’entre aux mourront avant cinq, six ans, essentiellement par infections, rougeole en tête.


Oeil d'hêtre

Oeil d’hêtre

Les accidents oculaires, dus à l’hypovitaminose A, sont décrits par le médecin Bitot en 1865.

Au XIX ième siècle, l’ophtalmie brésilienne atteint les enfants d’esclaves. L’huile de foie de morue guérit cette maladie due à une alimentation pauvre et monotone, constituée principalement de fèves, d’un peu de lard et de viande.

En Russie, en 1880, Thalberg décrit de vastes épidémies de cécités crépusculaires, d’héméralopie, chez les adultes : c’est l’impossibilité de voir à la nuit naissante. Puis des troubles de la cornée, des xérophtalmies chez les jeunes enfants. Ces troubles apparaissent en fin de carême, ce moment religieux où les privations sont prescrites, voire le jeun. Les familles riches sont épargnées, car elles peuvent s’offrir du poisson.

Au Japon, les enfants sont par endroits atteints du « hikan ». Sécheresse de la peau, xérophtalmie touchent les enfants se nourrissant exclusivement de végétaux, sans oeufs, ni lait, ni poisson. On traite parfaitement la maladie en donnant des foies de veau, morue, poulet. Sur ces iles à cette époque, les seules huiles utilisées sont  celles de sésame et de soja, qui, hors de prix,  ne sont consommées que par la noblesse japonaise. Sans produits animaux, les paysans pauvres de l’intérieur ne mangent guère de matières grasses, qui sont indispensables l’absorption de cette vitamine qui est liposoluble.

Au Danemark, Bloch et Widmark font un travail remarquable en démontrant que l’incidence de la xérophtalmie avait diminué pendant la guerre de 1914, ce qui, a priori, défie le sens commun.


Evolution de nombre de xérophtalmies 

Evolution de nombre de xérophtalmies

Dans ce pays déjà gros producteur de lait et de beurre, toute la matière grasse était gardée pour le business, et les enfants n’en consommaient pratiquement pas. Pendant la guerre, le blocus cassant les exportations, les enfants reconsommaient du beurre et du lait entier ! Une autre observation, fortuite, étonna les médecins :dans une clinique, une infirmière avait de sa propre initiative supprimé le lait à tout un service, la moitié des  enfants présentèrent des troubles de la cornée. La conviction des médecins était faite, il fallait quelques aliments « riches », et des matières grasses pour éviter cette carence. A cette époque la molécule Vitamine A est inconnue.

Après son isolement et la mise au point de son dosage, cette vitamine fut retrouvée dans de nombreux produits animaux, le foie entre autres, et des légumes variés, avec des champions tels les carottes et les patates douces à chair orange. Mais les graisses doivent être présentes aussi.


Un regard de glace

Un regard de glace

Pendant la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement britannique utilisa ces découvertes « pour faire de l’intox » (On dirait un « fake news » aujourd’hui). La Royale Air Force avait recours à une technologie encore secrète à l’époque, un radar embarqué pour repérer les bombardiers allemands qui attaquaient leur territoire de nuit. Mais cette facilité à éliminer les avions allemands dans l’obscurité la plus totale troublait les techniciens allemands bien sur. Les Anglais laissèrent se propager l’idée que les aviateurs mangeait des carottes en abondance. Cette mythologie atteint toute l’Europe, alors que le pro carotène n’est qu’un précurseur, six moins efficace que la vitamine A. Et si cette vitamine est nécessaire à la synthèse du pigment rétinien, la fameuse rhodopsine , elle n’augmente en rien nos capacités visuelles ! Comme Popeye et ses épinards qui furent aussi à l’origine des « végétaux riches en fer », le fer « qui donne de la force », un peu comme le père Noël qui « résout tous vos tracas » ! Manger « trop de carottes » n’est pas forcément très sain.

La A est la vitamine qui, avec la B12, peut manquer dans nos pays aux adeptes des régimes restrictifs tels les végétaliens. On nous la demande de plus en plus souvent dans nos labos, avec le Zinc, à la suite du succès grandissant des opérations « sleeve », de réduction du volume stomacal, pour les personnes en surpoids. Une seule vitamine peut manquer dans la population des pays développés, c’est la Vitamine D en hiver. Même si les besoins en vitamines sont accrus lors de certaines périodes de la vie, grossesse, petite enfance, grand âge, notre alimentation variée, riche en produits frais les apportent facilement. Encore ne faut-il pas s’en priver, et on peut assez facilement observer des sub carences en folates dans nos compte rendus de laboratoire.

Dans les régimes dits de pénurie, c’est une toute autre affaire.

Quand le pétrole se fera plus rare, donc plus cher, ou que le réchauffement climatique menaçant nous imposera son usage parcimonieux, on reparlera … vitamines.


Papillon ginkgoen automne

Papillon ginkgo en automne