Il faut toujours avoir un oeil sur l’Amérique, mais pas sur sa trompe
Mais l’Amérique ! Elle a tant fait rêver ! L’Eldorado ! La Californie ! Le mythe de la conquête, l’espace vierge, sans contraintes, ou si peu, une poignée de sauvages à exterminer, et le business pouvait carburer à plein dollars.
Ensuite s’installa la démesure. Elle attire à sa manière, comme une folie lumineuse. A nous New York ! Les immeubles étaient hauts, vraiment hauts, les voitures puissantes, les musiciens extraordinaires, les prix Nobel nombreux, et même les poètes étaient fameux ! L’armée imposante, les champs immenses, les déserts sans fin ! Des artistes en recherche d’inspiration franchirent en nombre l’Atlantique pour se plonger dans cette démesure. Nougayork menacé par la mélancolie y avait retrouvé l’énergie, et peut être aussi du grisbi pour les impôts. Et dans le domaine de la connaissance, les scientifiques du monde entier savent que les travaux outre atlantiques sont incontournables, tant par la qualité que la quantité.
Mais s’il faut les écouter en 2018, c’est surtout parce qu’ils ont une avance sur nous, et d’une belle longueur, dans la destruction systématisée de leur environnement : si les européens pouvaient ne pas les imiter dans ce domaine, toute la planète s’en porterait mieux, elle pourrait peut-être même s’en sortir. Nourrissons nous de leurs infortunes, évitons leurs erreurs !
Vers les années 1980, ils nous avaient rendu un grand service en détectant très tôt grâce à leurs puissants ordinateurs IBM une anomalie dans la vente de médicaments normalement très peu donnés à des jeunes hommes : ce fut à l’origine de la mise en évidence du virus du Sida. Les médecins français qui jetaient régulièrement un oeil par dessus l’océan permirent aux Pastoriens de le mettre en évidence, je pense au Dr Willy Rozenbaum.
Dans mon domaine, comme tous les bactériologistes, je me tiens donc régulièrement au courant, et le CDC d’Atlanta en est un peu la Mecque. Mais attention, si, en science pure, on les applaudit à tout rompre, en médecine, l’admiration est sérieusement bémolée. Leur univers viro-bactériologique a peu de choses en commun avec celui des Européens, et il n’est pas question d’entretenir la confusion. A ma dernière visite au CDC, voici ce qui me surpris :
Ces cinq bestioles sont le top cinq des bactéries responsables d’intoxications alimentaires des States. Le plus dangereux est le E coli 0157 qui transforme un simple hamburger en un verre de la mortelle cigüe, cette maladie a été détectée vers les années 1980. A coup de stérilisation, de procédures, d’analyses, de retraits d’aliments, cette intoxication n’a pas pris d’ampleur, et il semble qu’au Canada, elle a même régressé.
Mais un germe lui, s’envole : le vibrion. Tout le monde connait le plus célèbre, c’est celui du choléra, les autres espèces pathogènes sont peu connues, pour l’instant. Vibrio vulnificus et Vibrio parahaemolyticus. Reste à savoir si c’est leur détection qui s’améliore, ou si c’est réellement leur fréquence qui augmente. Si c’est la température qui s’élève, ou si c’est le thermomètre qui s’est amélioré.
Il tue une centaine de personnes par an aux Etats-Unis, principalement à la suite de la consommation d’huîtres, mais ce peut être d’autres produits de la mer. Une majorité des patients décédés ont une pathologie sérieuse prédisposante, comme une insuffisance hépatique, mais pas que. La Californie est le seul état qui a pris des mesures : interdiction de ventes d’huîtres non stérilisées d’avril à octobre, puisque ces germes prolifèrent pendant la période estivale.
Stérilisation par la chaleur, par la congélation, ou par traitement hyperbare.
Depuis le nombre de morts en Californie pour cause d’ingestion d’huîtres est égal à zéro.
Savoir si ces germes sont en augmentation dans l’environnement marin côtier n’est pas chose facile.
L’équipe de Luigi Vezzulli s’est emparée du sujet de manière plutôt élégante. Depuis cinquante ans, le plancton océanique est surveillé. Chaque année des relevés sont effectués à différents endroits de la planète, et ce plancton est gardé formolé.(CPR (www.sahfos.ac.uk/)
Il se trouve que les bactéries marines sont hébergées par ce plancton.
Il suffit d’analyser l’ADN de ces vibrions, et l’ADN de l’ensemble des bactéries qu’on y trouve : c’est simple, yakafokon ! On définit un index, le VAI, l' »index d’abondance de vibrion », le pourcentage d’espèces de vibrions par rapport à l’ensemble des espèces bactériennes. Parmi ces vibrions, vous l’avez compris, peuvent se cacher des ennuyeux, alors que bien d’autres bactéries marines sont plutôt des « aidantes ». Certaines espèces de ces vibrions peuvent même tuer leurs hôtes. Ils peuvent être à l’origine de fortes mortalités de coquillages, dès que les conditions écologiques leur sont favorables. Ils aiment bien la chaleur et les eaux saumâtres, donc les pluies abondantes par exemple. Ils adorent aussi le grand nombre, la promiscuité, et il est bien possible que la forte densité d’élevages leur soit très favorable.
Depuis 2008, le virus OsHV-1, associé avec Vibrio splendidus et Vibrio aestuarianus est à l’origine de lourdes pertes chez les naissains d’huîtres en France, mais il ne nous nuit pas le moins du monde.
L’index vibrion avait déjà été évalué dans l’estuaire du Rhin de 1961 à 2005, l’étude avait montré une augmentation de cet index, corrélé à l’augmentation de la température de l’eau…
Le plancton a été analysé à neuf endroits différents en Atlantique Nord. Sur huit zones l’augmentation de cet index a été corrélée avec l’augmentation de la température de l’eau. Elle est estimée à 1,5 °C dans les eaux de surface au cours des 54 dernières années en Atlantique Nord.
Il est donc clair que le réchauffement des océans, qui absorbent, surtout en surface, 90 % de la chaleur produite par l’effet de serre bouleverse la microbiologie marine de surface.
Et en France ?
La situation pour l’instant n’a rien à voir avec celle des Etats Unis, avec son Vibrio vulnificus, ni celle du Japon, qui surveille son Vibrio parahaemolyticus comme le lait sur le feu. Les intoxications par Vibrion sont très rares chez nous.
Dans nos pays, Il est déconseillé de manger des coquillages d’avril à octobre, on le sait intuitivement depuis fort longtemps. Malheureusement ce conseil peu à peu se dilue, alors qu’il devrait se renforcer au contraire avec le réchauffement climatique et ses avatars.
Comme aucune administration n’aura la possibilité d’interdire le commerce durant cette période, les biologistes sont mis à contribution pour surveiller étroitement tous les microorganismes marins, bactéries, virus, protozoaires, et leurs toxines tout le long de l’année.
Les huîtres ont été testées en France (SMEL) : en 2015 le VAI est à 66 % à Thau, 40 % sur un site Atlantique, 15 % sur un site Normand. Aucune espèce pathogène n’y a été dénombrée, ni le Vibrion vulnificus desEtats Unis, ni le Vibrion parahaemyticus des eaux chino japonaises.