Rouges jardinspar Guy Grandjean
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Réminiscences

Philosophie

1997, BOTSWANA, État africain situé au-dessus de l’Afrique du Sud.

La saison sèche avance. En pleine journée, sur les sables du Kalahari, la chaleur devient vite excessive pour bon nombre de ses habitants, qui restent près des étangs, des rivières où l’eau devient rare, puis boueuse.

Avare en déplacements, une troupe d’éléphants mâles s’est établie vers un des derniers points de ravitaillement. Une hiérarchie très stricte est respectée dans l’accès à la boisson libératrice. Un très vieil éléphant en est même chassé, et c’est une nuit qu’assoiffé, il se fera tuer par un autre éléphant d’un violent coup de défense, pour ne pas avoir respecté les règles de préséance.

Dès l’aube, les visites funèbres à la dépouille de l’ancêtre seront impressionnantes : pendant une journée, des membres de sa tribu viendront la toucher, restant comme pensifs à sa vue. Certains caresseront ses défenses de leur trompe, précautionneusement, longuement ; ils les humeront, comme pour s’en imprégner …

Plus tard, quand les lions, puis les hyènes et les vautours auront bien curé la carcasse, que les os auront blanchi sous le feu du soleil, les éléphants se souviendront encore. Ils y feront volontiers un détour, viendront trompipuler le squelette. On verra même un jeune saisir une défense, la trimbaler un bon moment, jouer avec, puis, pour une raison mystérieuse, tenter de l’écraser de ses imposantes pattes. Il a été souvent observé des éléphants couvrir leurs morts de branches, de poussière.

Femme de Papouasie portant le deuil de son mari (ses ossements). On reconnaît le sacrum. Au temps des Romains, cet os a été ainsi nommé car on supposait qu’il soutenait les entrailles offertes en sacrifice aux Dieux.

1950

Un missionnaire, André Dupeyrat, rapporte de la Papouasie Nouvelle Guinée des descriptions de vie tribale extraordinaires : des proches de nos ancêtres préhistoriques vivants !

Il fut invité dans un village reculé, où un grand chef venait de mourir. Son arrivée fut accompagnée de puissants gémissements, certains rappelant les hurlements de loups. L’ambiance était survoltée ; le village tout entier baignait dans une odeur épouvantable, à son nez, pas visiblement à celui des papous.

Il était accompagné d’un chef ami et voisin, totalement exalté depuis l’annonce du décès. Ils entrèrent dans la hutte du mort, qui gisait en état de décomposition avancée, sur une plaque-forme à branches situées en hauteur. Des énormes mouches verdâtres étaient à leur affaire dans cette atmosphère putride. Un liquide, innommable, suintait et était recueilli dans de petites écuelles en bois. Le chef, ami du défunt se précipita pour lécher ce jus sanieux le long des piquets. C’était plus que notre missionnaire ne put en supporter, et il sortit vomir dehors, geste qui fut d’ailleurs interprété avec grande considération par les participants.

-Sur un autre continent, en Asie, ce liquide était tout aussi apprécié, par des moines tibétains, à qui il était censé donner l’immortalité-

Dans ce village papou, tout le monde était invité à un repas alléchant : des taros, des tubercules cultivés dans la région, cuits à la pierre brûlante et assaisonnés avec le précieux liquide.

Ainsi étaient-ils convaincus de recevoir un peu de la force et des qualités du défunt chef.

Le lendemain les ossements furent soigneusement nettoyés et distribués aux proches ; la veuve en reçut la plus grande partie : tibia, bassin et vertèbres, qu’elle porta autour de son cou les longs mois de deuil.

1793

L’an deux de la République en France : on observe au pied de certains échafauds des personnes boire le sang des aristocrates décapités.

Cette année-là, dans le désir généralisé de détruire « la chose religieuse », on fondit  la châsse de sainte Geneviève, coffre richement orné contient les restes de la sainte, patronne de Paris (XII siècle).

Selon la tradition, en 451, Geneviève, âgée de 28 ans, convainc les habitants de Paris de ne pas abandonner leur cité à Attila, qui effectivement épargna la grande ville.

« Que les hommes fuient, s’ils veulent, s’ils ne sont plus capables de se battre. Nous les femmes, nous prierons Dieu tant et tant qu’Il entendra nos supplications. »

Chaque année, les chrétiens la suivaient lors de processions importantes. Ils  tentait ainsi d’obtenir son intercession, c’est à dire de profiter des rapports qu’elle avait avec Dieu, disait-on.

Empire romain

C’est le sang des gladiateurs courageux qui a été apprécié à la fin des combats.

2002

Ce très ancien culte des vestiges n’appartient pas totalement au passé. On trouve encore quelques traces dans les expressions vieillies, comme « le lien du sang ». L’ hérédité, science plutôt récente, a  endossé cette ancienne croyance. Les chercheurs qui se sont acharnés à décoder notre boîte à reliques, l’ADN, ont été déçus. Il faut se soumettre à leurs découvertes et leurs conclusions. Les chromosomes ne nous aident guère.

C’est l’éducation donnée par les parents et leur amour, qui fait un nouveau-né un être humain. Le plus souvent l’hérédité génétique n’est visible que dans ses impressionnants « accidents chromosomiques », dont le plus courrant est la trisomie 21. Bien sûr, on lui attribue des prédispositions à certaines maladies, et aussi « un air de famille ». Mais les enfants adoptés jeunes savent aussi parfaitement s’imprégner des attitudes et des comportements de leurs parents « non biologiques » : l’imitation est maîtresse à cet âge.

Quand l’enfant est privé de ces tendres sollicitudes, l’atavisme domine alors, et l’hominisation reste en panne. On peut alors, ébahis, découvrir des hommes ou des femmes moins humains … que des éléphants !

Dans tous les pays du monde, cette éducation commence à travers l’affection parentale par un sourire, l’apprentissage des formules de politesse, un béaba « d’art de vivre ». Chargés de chaleur humaine, ces rituels invitent à la communication, et tentent d’effacer l’indifférence et l’agressivité congénitales, primordiales. Ils sont le préalable aux échanges, même si parfois, ils se résument à quelques simagrées hypocrites. Et bien entendu, c’est un filet bien tenu, armé de mailles bien trop grosses, pour retenir complètement notre surprenante férocité potentielle. Dans nos sociétés si policées, le voile tombe de temps en temps : sur les rings par exemple, où un KO peut tuer. Ou sur la place publique, quand sont éructés des propos antisémites, racistes . Ces comportements existent encore, dans nos pays évolués où une anodine paire de claques à un gamin peut vous envoyer devant les tribunaux !

La force de la poignée de main  «virile» mesure le désir de concurrence, de compétition, voire d’affrontement.

Les marques de politesse existent d’ailleurs chez certaines espèces animales dites évoluées. C’est ainsi que Dian Fossey, «primatologue» de terrain, a vite appris un rudiment de «langage gorille», et évité ainsi les agressions. Elle avait pu ainsi vivre dans la plus grande intimité avec ces grands singes. Dans la forêt pluviale de Bornéo, l ‘«outangologue» Biruté Galdikas a découvert qu’un groupe orang pratiquait le «bonsoir» en soufflant entre les lèvres.

C’est au Kalahari que survivent sans doute les réminiscences les plus anciennes du patrimoine humain. Malgré l’invraisemblable dureté de l’environnement, le génie humain s’y est installé depuis longtemps. Chassés de toute partie, les Bushmen, s’y sont installés, même dans les régions les plus inhospitalières.

En traversant l’Afrique à notre époque, le mot bushman perd son côté péjoratif qu’il dénotait il y a quelques siècles : créé par les colons néerlandais, il désignait ainsi l’homme de la brousse, comme le paysan est appelé parfois » péquenot ». Eux-mêmes s’appellent de divers noms tels que « Red people » ou Basarwa. Voir le film «Les Dieux sont tombés sur la tête».

C’est un peuple nomade, remarquable à bien des égards ; leur petite taille, la couleur de leur peau, leurs fesses rebondies les distinguent facilement de leurs voisins sédentaires. Les généticiens en font le groupe  humain le plus ancien avec les pygmées. Cueilleurs chasseurs, leur vie au Kalahari est fascinante. L’acuité de leurs sens est extrême ; leur culture nous fait plonger dans notre propre passé néolithique. De nombreux témoignages attestent d’une joie de vivre intacte, malgré les grandes difficultés de survie et les conflits de voisinage. Ce qui nous sépare d’eux n’est qu’une petite somme de connaissances, que certains assimilent dans un tour de main. Toute rencontre dans cet univers difficile par un « bonjour je t’ai vu de loin », sans lequel il y a quelques dizaines d’années, les choses pouvaient se gâter très vite : leur petite taille était entre eux objet de susceptibilité.

IMG_0008.jpg technique bushman guy grandjean

Recherche de l’eau, technique bushman : presque goutte à goutte, elle est aspirée et refoulée dans des coquilles d’oeuf d’autruche vides. Le tuyau est façonné à partir d’un ou de plusieurs roseaux enfoncés dans le sol en enfilade. L’étanchéité est assurée par de la gomme : l’eau est clarifiée par un filtre d’herbes sèches.