Rouges jardinspar Guy Grandjean
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La gale rie sous la peau

Médecine

 

 

Cet Acarien responsable de la gale, le sarcopte, mesure un tiers de millimètre, il est donc visible à l’oeil nu.

L’histoire du traitement et du diagnostic de la gale est extraordinaire à bien des égards.

Elle me rappelle l’histoire récente du réchauffement climatique.

Dans les deux cas ont coexisté en effet une vision « populaire », et une vision « savante ».

Pour le climat, la simple observation des variations climatiques, et surtout de leur impact sur la nature, en particulier sur le monde végétal, suffit pour attester ce réchauffement des cinquante dernières années. Les anciens le traduisent à leur manière, « les saisons ne sont plus marquées », « les hivers rigoureux se font rares », « ils nous ont détraqué le temps « , « on ne patine plus sur les canaux d’Amsterdam », »les vendanges sont de plus en plus précoces » etc.

Le monde savant, lui, mesure, analyse, calcule, l’abstraction reste maîtresse, et les ordinateurs ronronnent à pleins tuyaux. Les scientifiques restent plus prudents que les Sioux quand il s’agit de prévoir. Pourtant, jour après jour, leurs prévisions déjà trentenaires sont validées.

Et la science de l’observation, accessible à tous, rejoint fatalement la science dure de la physique, ressentie par une minorité.

Rappelez vous la boutade : la différence entre la pratique et la théorie ? En théorie, il y en a une, en pratique, il n’y en a pas.

 

 


IMG_0032.jpg Guy Grandjean

Pour la gale, quelques peuples savent depuis longtemps qu’elle est l’oeuvre d’une bestiole tout juste visible à l’oeil nu. Ont été recensés ainsi les Corses, les indiens de l’Orénoque, et les paysans des Asturies. Les galériens de Livourne également. Ces animalcules, de la famille des Acariens, étaient débusqués à l’aiguille, dans les galeries qu’ils creusent sous la peau. Et les patients sortaient guéris de cette traque un peu particulière. Quand la maladie est prise à temps, l’infestation est faible, pas plus d’une dizaine d’indésirables à déloger.

Pour le monde savant, les péripéties de la découverte de cet Acarien dénommé sarcopte, et de sa responsabilité dans la maladie peuvent animer un véritable roman, au cours des siècles.

 

 


Capitale vient de caput, la tête en latin.

Capitale vient de caput, la tête en latin.

Car si Ambroise Paré en 1585 parle de « cirons cachés sous le cuir, sous lequel ils se traînent, rampent et rongent petit à petit, excitant une fâcheuse démangeaison », il s’en faut de beaucoup que cette idée soit répandue dans la gente médicale. D’où la perpétuation de traitements généraux farfelus, pénibles voire dangereux, et en tout cas toujours inefficaces.

Il fallut attendre Van Helmont en 1652, étudiant en médecine atteint de gale, ayant essayé les traitements  drastiques, quoique sans effet, sur lui-même pour mettre en cause les textes anciens. Il démontra que seuls les traitements locaux à base de soufre, de vitriol ou de mercure, appliqués en onguents sur la peau, étaient efficaces. Les traitements au soufre étaient d’ailleurs utilisés depuis fort longtemps.

Au même moment, Giovanni Cosimo Bonomo, médecin italien, utilise l’ancêtre du microscope pour y voir plus clair sous la peau des galeux. Il y découvre la bestiole, enfouie sous la peau. Mais ce n’est qu’en 1834, qu’un médecin corse Simon François Renucci monte à Paris, et que la faculté adopte définitivement la thèse du sarcopte en le regardant procéder !

En fait, la détection du parasite n’est pas forcément facile, et de nombreux savants se sont acharnés à les rechercher en grattant les vésicules perlées qu’on observe dans cette maladie.

A côté ya du pâté, disait-on enfant.

Car les femmes corses savaient depuis longtemps qu’il fallait les chercher dans les galeries, nommées sillons, et nulle part ailleurs. A leur contact, Simon François Renucci avait appris la maîtrise du geste, qu’il put répéter à loisir devant les augustes assemblées médicales parisiennes ébahies.

 

 


Oeuf de sarcopte, et "sarcopte sur chant" à côté, à droite, reconnaissable aux stries régulières. On peut faire leur diagnostic sur la présence de leurs crottes...

Oeuf de sarcopte, et « sarcopte sur chant » à côté, à droite, reconnaissable aux stries régulières. On peut faire leur diagnostic sur la présence de leurs crottes…

La gale est en recrudescence régulière depuis une vingtaine d’années. En chiffrant les médicaments utilisés par la population française, à la louche, on arrive à une estimation de 200 000 cas nouveaux par an en France. Avec trois grandes origines : les communautés d’anciens, où l’hygiène basique est souvent oubliée  -par manque de personnel- avec leurs véritables petites épidémies. L’adolescence, car la gale est une IST, et c’est même le moyen le plus efficace pour se contaminer. Et puis les souvenirs de vacances, moins fréquents, et le récent mouvement de migrants en situation précaire. Avec l’arrivée de l’ivermectine, « une balle magique », « a magic bullet« , le traitement est devenu très simple, même si la nécessaire décontamination de la literie et autres objets douteux reste besogneuse.

 

 


DSC_6661.jpg Guy Grandjean

Dans notre histoire, cette maladie était une maladie de la promiscuité. Même si toutes les couches sociales pouvaient être atteintes, l’extrême pauvreté lui était très favorable, en l’absence de traitements simples. Il fallait répéter en effet les traitements locaux, et éliminer l’Acarien dans l’environnement. Un médecin rapporte qu’en Vendée en 1797, des villages pouvaient être massivement infestés en ces temps troublés (plus de la moitié des habitants). Toutes les armées étaient atteintes également de la gratelle, non commun donné à la gale : l’officier Chouan Pierre Michel Gourlet rapporte les mots de Marion, la femme qui l’a recueilli et caché au regard de l’armée Républicaine, les « Bleus » :  « mon pauvre malheureux, vous êtes dans un bien pitoyable état et bien malpropre, mais votre gale est l’uniforme de l’armée Royale ».

Avec  exactement le même commentaire sur l’armée Républicaine !

Louvrier rapporte « il existe dans l’armée de l’Ouest un nombre considérable de galeux. La fleur de soufre est l’objet le plus essentiel pour leur traitement » A cet effet, il achète 600 livres de fleur de soufre.

 

Il est remarquable que le seul emploi du mot galeux dans la langue française reste l’expression d’origine religieuse,  » brebis galeuse », le plus souvent utilisée au singulier. Sans doute un clin d’oeil au conformisme religieux généralisé, obligatoire, dans notre passé. Le comportement différent d’une seule personne était intolérable, et d’ailleurs non toléré. Car une seule brebis contaminée, c’est à dire différente, pouvait contaminer tout le troupeau. Elle pouvait faire s’effondrer, par contagion, pensait-on, ce conformisme permettant l’union « qui fait la force ». Cette remarque en pratique médicale a été, est et sera à jamais d’actualité : un phénomène qui peut devenir épidémique est toujours infiniment plus facile à enrayer à ses débuts. « Le premier qui dit la vérité, il doit être exécuté » chantait le poète. Sans doute dans un pays totalitaire.

IMG_0007 2.jpg Guy Grandjean