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L’Afrique sauvée par un chasse-mouche américain

Ecologie

 

Dans notre histoire récente, les Etats-Unis ont « sauvé » deux fois l’Europe lors des deux derniers conflits mondiaux. Par leur puissance militaire. Ce que l’on sait moins, c’est qu’ils ont également sauvé l’Afrique, à la fin du XX siècle, cette fois là par leur avance technologique.

1988 Pour la première fois, la présence d’une mouche dangereuse, la lucilie bouchère, est signalée sur le continent africain, en Libye. Sans doute attérie au cours de l’importation de 200 000 moutons Sud Américains.

L’espèce a été décrite en 1858 par le médecin français Charles Coquerel, sur les bagnards victimes de cet insecte, à l’île du Diable, en Guyane. Elle a été nommée Cochliomyia hominivorax. Dévoreuse d’homme, vous avez bien lu, elle s’attaque à nous, elle s’attaque aux êtres vivants ! Pas comme toutes ses consoeurs qui se délectent de chair corrompue post mortem. Et qui sont même utilisées en médecine, ce que les médecins ont appelé asticothérapie, très efficaces pour nettoyer les plaies malsaines. Hominivorax ! Cette seule dénomination, à la une d’un tabloïd, pourrait faire flamber sec un tirage. Cette mouche, il lui faut donc du frais. Elle pond ses œufs autour des plaies le plus souvent, et aussi sur les muqueuses des mammifères à sang chaud, humains compris. Les larves creusent ensuite la chair pour s’en repaître. Le colonel Kadhafi, dirigeant tyrannique de l’époque, traîne des pieds. Il attendra la mort de dizaines de personnes, et la perte de deux millions d’ovins et de caprins pour demander de l’aide à la communauté internationale.

Les États-Unis ont rompu les relations diplomatiques avec la Libye en 1986, pays devenu suspect à leurs yeux d’aide au terrorisme international. Comment les convaincre d’intervenir ? En effet, eux seuls maîtrisent, depuis un moment déjà, la technique de « l’insecte stérile ». Cette lutte biologique  a mis en échec l’expansion de la lucilie sur le continent outre-atlantique.

En 1940, deux entomologistes américains, Edward Fred Knipling et Raymond C. Bushland, ont mis au point cette stratégie : stériliser les mouches mâles, et les relâcher en masse dans la nature. En 1972, à Tuxtla Gutierrez, le Mexique et les États-Unis coopèrent en créant une usine de 80 hectares dirigée par la Comexa. 500 millions de mouches mâles stérilisées au Césium 137 y naissent chaque semaine. Les rayonnements ionisants endommagent les cellules reproductrices sans nuire aux autres organes.

L’atmosphère qui y règne est particulière, température de 40 ° C, 80% d’humidité. Odeur ammoniacale suffocante garantie. En Libye, il faut faire vite ; six millions d’animaux sont menacés, ovins, caprins, camélidés, bovins, et surtout les jeunes enfants et les personnes âgées.

La FAO, le FIDA, l’AIEA font pression sur le président Georges Bush : après des hésitations, ce dernier accepte le programme d’aide qu’il présente aux congrès. Ce dernier entérine le principe d’intervention. Le BID, la BID, la FIDA, le PNUD et la Libye financent en partie. Une douzaine de pays, les États-Unis, la RFA, le Canada, la Belgique, la Finlande, la Suède, l’Autriche, l’Espagne, le Luxembourg, le Koweït versent rapidement d’importantes sommes. La plupart de ces pays ne sont pourtant pas  proches du foyer libyen ! Peu après, la France et l’Italie mettent au pot. L’affaire est dans le sac.

Kadhafi se dit désargenté, il vient de dépenser 7 milliards de dollars pour sa canalisation géante, la fameuse GRA, la Grande Rivière Artificielle. Quelques années plus tard, on réalisera que ce chef a eu un culot extraordinaire : l’enquête qui a été menée après son assassinat, sur ses avoirs, dans de nombreux pays a montré que les pétrodollars avait fait de lui un des hommes les plus riches de la planète ! Fortune estimée à plus de 100 milliards de dollars !

Le 22 juin 1992, les autorités libyennes annoncent l’éradication de la lucilie bouchère en Afrique. Les biologistes ne doutent pas que cette mouche aurait pu semer la désolation sur tout le continent, et très probablement sur les continents voisins.

 

 


DESSINS DE SABLEP1000696.jpg Guy Grandjean

Les Américains ont clairement choisi l’intérêt général.

 Ils  acceptèrent même les conditions « surprenantes » de refus de vol sur le territoire libyen. Les aviateurs militaires libyens ont donc dû s’initier au lâcher de lucilies mâles stériles.

 Aux yeux du monde entier, cette guerre biologique, aux énormes enjeux, est restée en fait tout à fait inaperçue, sans doute masquée par la guerre du Golfe.