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Lamarck marque avant que Dark win

Mystique

Le transformisme de Lamarck avant l’évolution de Darwin

On attribue l’idée d’évolution à Charles Darwin, et c’est bien sûr l’essentiel de son oeuvre. Surtout, c’est lui qui l’a portée devant la société, à une époque imprégnée de religion, où le couple fondateur est Adam et Eve, privée de nombril. Mais d’autres biologistes s’étaient emparés de cette nouvelle vision, et en particulier Jean-Baptiste de Lamarck, qui avait employé le mot transformisme, plus de cinquante ans avant Charles. Les animaux se transforment, affirme-t-il, depuis la nuit des temps, mais cette théorie est mal vue par les grands biologistes “officiels” du moment, tels Cuvier, et les religieux. Charles Darwin proposera aussi “le combat pour la vie”, comme moteur principal de l’évolution. Le plus fort gagne, le faible souffre et disparait. Vision partielle, et peu applicable aux sociétés humaines. Vision partielle, car si la lutte élimine, et oriente donc, elle ne créée en fait rien du tout : ce vaste mouvement, l’évolution, reste totalement mystérieux, depuis l’origine .

Voici un extrait d’article écrit dans les années 1900 par Y. Delage, biologiste, membre de l’institut.

 « Pour la petite histoire, je rapporte une anecdote relatée par l’astronome, physicien et homme politique François Arago, lorsque Lamarck remis un exemplaire de sa Philosophie zoologique à l’Empereur Napoléon.

L’Empereur […] passa à un autre membre de l’Institut. Celui-ci n’était pas un nouveau venu : c’était un naturaliste connu par de belles et importantes découvertes, c’était M. Lamarck. Le vieillard présente un livre à Napoléon.

« Qu’est-ce que cela ? dit celui-ci. C’est votre absurde Météorologie *, c’est cet ouvrage dans lequel vous faites concurrence à Matthieu Laensberg, cet annuaire qui déshonore vos vieux jours ; faites de l’histoire naturelle, et je recevrai vos productions avec plaisir. Ce volume, je ne le prends que par considération pour vos cheveux blancs. — Tenez ! »

 Et il passe le livre à un aide de camp.

Le pauvre M. Lamarck, qui, à la fin de chacune des paroles brusques et offensantes de l’Empereur, essayait inutilement de dire : « C’est un ouvrage d’histoire naturelle que je vous présente », eut la faiblesse de fondre en larme” .

Il poursuivra son œuvre par la rédaction de sa monumentale Histoire naturelle des animaux sans vertèbres (1815-1822) en 7 volumes, dans laquelle il établit une classification raisonnée des animaux invertébrés, représentant près de 80% du règne animal.

Un bijou dans ma main
Un bijou dans ma main

Durant les dix dernières années de sa vie Lamarck qui a perdu progressivement la vue, est complètement aveugle. Ne pouvant plus écrire, il dicte ses textes à sa fille Cornélie. Celle-ci retranscrit également son dernier ouvrage testamentaire : Système analytique des connaissances positives de l’homme restreintes à celles qui proviennent directement ou indirectement de l’observation (1820). On y retrouve les réflexions d’une vie et la quintessence de sa philosophie. Il y rejette le recours à la métaphysique pour expliquer les facultés supérieures de l’homme :

« L’idée n’est assurément point un objet métaphysique comme beaucoup de personnes se plaisent à le croire ; c’est au contraire un phénomène organique et conséquemment tout à fait physique, résultant de relations entre diverses matières et de mouvements qui s’exécutent dans ces relations ».(…)

Il replace l’homme dans la nature et la société :

« L’homme, véritable produit de la nature, terme absolu de tout ce qu’elle a pu faire exister de plus éminent sur notre globe, est un corps vivant qui fait partie du règne animal, appartient à la classe des mammifères, et tient par ses rapports aux quadrumanes dont il est distingué par diverses modifications, tant dans sa taille, sa forme, sa stature, que dans son organisation intérieure ; modifications qu’il doit aux habitudes qu’il a prises et à sa supériorité qui l’a rendu dominant sur tous les êtres de ce globe, et lui a permis de s’y multiplier, de s’y répandre partout, et d’y comprimer la multiplication de celles des autres races d’animaux qui auraient pu lui disputer l’empire de la force. […]

L’homme, par son égoïsme trop peu clairvoyant pour ses propres intérêts, par son penchant à jouir de tout ce qui est à sa disposition, en un mot par son insouciance pour l’avenir et pour ses semblables, semble travailler à l’anéantissement de ses moyens de conservation et à la destruction même de sa propre espèce.

En détruisant partout les grands végétaux qui protégeaient le sol, pour des objets qui satisfont son avidité du moment, il amène rapidement à la stérilité ce sol qu’il habite, donne lieu au tarissement des sources, en écarte les animaux qui y trouvaient leur subsistance, et fait que de grandes partie du globe, autrefois très fertiles et très peuplées à tous égards, sont maintenant nues, stériles, inhabitables et désertes. Négligeant les conseils de l’expérience pour s’abandonner à ses passions, il est perpétuellement en guerre avec ses semblables, et les détruit de toutes parts et sous tous prétextes, en sorte qu’on voit des populations, autrefois considérables, s’appauvrir de plus en plus. On dirait que l’homme est destiné à s’exterminer lui-même après avoir rendu le globe inhabitable ».

Néandertal numérisé
Néandertal numérisé

Texte toujours d’actualité ! L’ouvrage donne lieu à autant de controverses que sa Philosophie zoologique, toujours alimentées par Cuvier qui porte une haine féroce à Lamarck. Railleries, propos acerbes, méchanceté s’abattent sur le pauvre vieillard qui calmement poursuit son œuvre. Il veut achever son Histoire naturelle des animaux sans vertèbres.

De nombreux malheurs se sont abattus sur la famille. La vie familiale de Jean-Baptiste quoique heureuse, connut de nombreux événements dramatiques. Il fut veuf trois fois. Ses épouses lui donnèrent huit enfants. Trois de ceux-ci mourront jeunes de diverses causes. Ses moyens de subsistance sont de plus en plus modestes. Il est obligé de vendre son herbier au botaniste allemand Johannes August Christian Roeper (1801-1885). Ce grand homme s’éteint doucement dans la nuit du 18 décembre 1829, à l’âge de 85 ans, dans son logis du Muséum. Il sera inhumé le 20 décembre au cimetière de Montparnasse en présence de quelques-uns de ses amis. Certains auteurs disent que ses restes auraient été jetés à la fosse commune.

De son côté, à l’Académie des Sciences, Cuvier composa un éloge funèbre qualifié par ses pairs « d’éreintement académique » et censuré par les autres académiciens. Il ne sera lu à l’Académie que le 26 novembre 1832. Il ne s’y prive pas de tourner en ridicule et de déformer les idées transformistes de Lamarck.”

 

 

 

 

 

* Napoléon, qui était pourtant grand défenseur de l’aventure scientifique, et même excellent mathématicien, méprisait les balbutiements d’une nouvelle activité, la météorologie.