Rouges jardinspar Guy Grandjean
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Le miel de lierre, mon crétin de Graal à moi

Humeur
 

 

Bourdon sur pavot

 

 

Comme tous les ambitieux jeunes, les orgueilleux, je cherchais « l’objet que les autres n’ont pas », le saint des saints ; l’objet rare, la photo inédite, le tableau introuvable ; je traquais le mets raffiné, réservé à la fine bouche, l’élite de l’élite du pays. Tout ce luxe, qui, en vous touchant, fait de vous un personnage béni des dieux, hors du commun, que dis-je, au-dessus du commun.

Fervent amateur de miel, je cherchais l’introuvable – donc cher -, miel de lierre. On trouve encore à Paris une fameuse enseigne, qui « fournissait la famille royale ». On y côtoie le roi, on s’approche des Dieux.

 Et patratas, une apicultrice me fait remarquer que le lierre fleurit en automne, et que c’est un don du ciel pour les abeilles. Si les astres sont favorables, c’est-à-dire la météo clémente, elles peuvent se gaver de ce nectar, et engranger du bon miel pour supporter l’hiver.

On peut le leur chiper… et leur donner du sucre à la place, mais bon, un avatar de plus pour ces infatigables. Tout ça pour les papilles d’un crétin qui va se pâmer avec un miel dont le gout n’a strictement rien d’exceptionnel.

Le plat rare, c’est aussi le caviar, qui moi, m’a toujours laissé un peu froid ; à Nantes, c’est la civelle, qui franchement ne va pas vous éblouir le palais. Dont les prix s’envolent, alors qu’elle était nourriture simple et commune il y a peu. Ce peut être aussi l’espadon, ou bien d’autres plats recherchés, tous ces animaux étant en train de disparaître de notre bonne vieille planète, fatigués de notre inguérissable cupidité.

 

 

 

Et il n’est pas toujours facile de faire riche, à une époque où les richoux abondent : comment trouver sa singularité, son unicité ? Ce qui fait que vous pouvez vous pavaner, vous sentir supérieur au commun des mortels ?

Je vous propose, entre autres, de passer au café de civette : à mille dollars le kilo, je pense que vous tenez dans vos mains de quoi épater définitivement vos amis. Vous leur expliquerez doctement que ces animaux vivent dans les plantations de caféiers en Indonésie et mangent bêtement ces graines, qu’elles ne peuvent digérer. Des gros malins ont trouvé le filon : récupérer le kk des bestioles, laver le café et faire croire à tous les gogos que la boisson ainsi laborieusement préparée était « de la plus grande suavité ».

Mais vous préférerez peut-être la soupe aux nids d’hirondelle : le nid étant strictement insipide, vous aurez quand même le bon goût de vous pâmer d’aise, surtout si vous êtes invité : le prix en est astronomique. À moins que vous ne choisissiez un potage à l’aileron de requin, qui a tout d’un vilain morceau couenneux, mais qui, cuisiné dans la bonne humeur, vous permettra de vous sentir « du bon côté »… grâce à l’importance du chèque dont on vous délestera en échange.

 Le pervers de l’affaire étant que devenant rares, tous ces produits attisent irrésistiblement les convoitises ! Les crétins dans mon genre pullulent dangereusement !

 Aussi ai-je décidé de ne plus pulluler.

Bref, je suis devenu réaliste, en écoutant cette apicultrice. J’ai rangé tous ces symboles crétins en haut de la plus haute des étagères, les yeux ouverts.

Pelotes blanches : pollen blanc de fleurs blanches
Pelotes blanches : pollen blanc de fleurs blanches