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Le pain blanc, symbole avec bémol

Médecine

La langue française foisonne d’expressions avec le mot pain. A commencer par “gagner son pain”. C’est l’ image d’un lien naturel historique d’ importance majeure entre notre survie et la culture des céréales dans nos contrées “avec hiver”, des pays où la période froide empêche toute récolte, où il faut donc stocker en hiver.

Dans un passé pas si lointain, manger du “pain blanc“ était signe de bien être. Le “pain noir” renvoyait au souvenir de famine, ou au moins ce qu’on appelait la disette. Une grosse douzaine de disettes au cours du XVIII ème siècle par exemple. En 1941, la famine aux Pays-Bas et en Grèce.

Cultiver le blé, le couper, le battre, le vanner, le moudre, le bluter, tout ceci sans machines, demandait des efforts considérables. Ici moisson à la faux, en montagne, au début du XX ième siècle.

 

Initialement, ce pain “noir” était pétri d’un mélange de blé et de seigle. Le seigle est adopté bien volontiers par des terres pauvres. D’où son intérêt quand les engrais, -les fumiers à l’époque-, manquaient, et son succès auprès des populations sans argent, “ sans-le-sou”. En cas de pénurie, ces deux céréales pouvaient être mélangées à toute sorte d’autres ingrédients : pomme de terre, châtaigne, fève, sarrasin, et même, quand la famine menaçait, son, sciure, paille, argile, fougère, asphodèle, rhizome de chien-dent, etc. Le pain blanc lui est boulangé avec une farine de blé pure, soigneusement tamisée pour éliminer les enveloppes du grain.

Tout compte fait, le pain séparait la population en deux : ceux qui mangeait du pain blanc tous les jours , “les riches”, et “les pauvres”, les paysans pour la plupart, qui se contentaient d’un pain noir quotidien. Et le pain noir de disette était loin d’être fameux, il était souvent bien dur. Peu à peu, à partir du XIX ième siècle, le pain blanc se répandit.

Et à partir “des trente glorieuses”, tout le monde s’est mis au pain blanc sans levain. Les anglais se sont même convertis à un pain de mie industriel d’une grande tristesse !

La profusion alimentaire pour tous est somme toute récente dans nos pays.

Elle est liée à l’usage de deux nouvelles sources d’énergie, le gaz et le pétrole.

Mais…

Faucille néolithique corse
Faucille néolithique corse

Mais…

Premier point :

Les médecins ont montré que l’origine de d’une malformation plus ou moins importante de la moelle épinière chez le nouveau né provenait souvent d’une carence en vitamine B9, ce qu’on appelle les folates, au début de grossesse.

Ces folates se trouvaient volontiers dans le pain noir, et les légumineuses, mais moins dans la farine blanche, trop tamisée, trop blutée dit-on, c’est le mot des boulangers.

C’est dans les années 1960 que des chercheurs anglais Richard Smithells et Elizabeth Hibbard l’ont démontré, et dans les années 1990 qu’a été prouvé l’effet bénéfique de la prise de ces folates dans la période périconceptionnelle, avant et après le début de grossesse.

Mais attention ! Les faibles doses prises avant la grossesse et pendant la grossesse sont efficaces. Mais des doses importantes prises tardivement entrainent un effet paradoxal !

La vitamine B9 est un maillon essentiel de la multiplication cellulaire, donc un stimulant des cellules en folie : les cellules cancéreuses. Il est donc bien plus simple d’adopter une alimentation variée en routine, et bien sur quand le désir de grossesse s’annonce…

Après le temps du pain blanc, voici le temps des merveilleux pains semi-complets, au levain, agrémentés de graines diverses. (Pain Virgule Le Landreau)
Après le temps du pain blanc, voici le temps des merveilleux pains semi-complets, au levain, agrémentés de graines diverses. (Pain Virgule Le Landreau)

Le pain complet, ou semi complet pour certains, est bien plus riche en vitamines, sels minéraux. Surtout s’il est poussé au levain.

Vers les années 2000, une soixantaine de pays, Etats-Unis en tête, ont décidé d’enrichir les farines blanches en folates, comme on avait judicieusement enrichi le sel de cuisine en iode. Et bien sûr, la maladie est devenue moins fréquente, on est dans de la science.

Avant cette décision, on estimait qu’un américain sur cinq était carencé en folates !

Deuxième point : le pain blanc est pauvre en fibres. Et il participe à l’appauvrissement de notre microbiote, source de bien des tracas.

Il eût été bien plus logique, et plus plaisant pour nos papilles de “changer de pain”, mais c’est de bon coeur que la plupart des terriens ont adopté une alimentation guidée par un marketing s’appuyant sur la force symbolique ancienne de ce pain blanc, allié à la recherche des prix bas.

Le pain blanc, le parfait symbole de la victoire sur la pauvreté s’est pourtant montré bien douloureux pour certaines familles !

Gerbes de blé à l’ombre
Gerbes de blé à l’ombre

PS : je suis surpris au labo de la fréquence des carences en folates dans la population générale, sans forcément d’impact sur le taux d’hémoglobine, c’est à dire sans anémie. Sans doute une sous consommation de produits frais. La vitamine B9 est en partie détruite par la cuisson.

PS : il est fascinant d’observer un phénomène similaire avec le riz blanc. Sa consommation exclusive entrainait l’apparition du Béribéri, par carence en vitamine B1…

Le pain blanc, aliment à haute valeur symbolique.